Aspects biopsychosociaux des troubles gastro-intestinaux fonctionnels

« C’est tout dans votre tête! », « Il n’y a rien de mal avec vous. », « Tous les tests sont négatifs. »… ces phrases sont probablement bien connues des personnes souffrant du syndrome de l’intestin irritable (SII) ou de la dyspepsie fonctionnelle (DF). Pourtant, ces personnes – qui souffrent de troubles gastro-intestinaux fonctionnels – éprouvent des symptômes réels, vraiment frustrants et parfois débilitants. Parmi les symptômes qu’éprouvent les personnes atteintes du SII, mentionnons des douleurs abdominales, des gaz, des ballonnements, la constipation et la diarrhée; pour leur part, les personnes atteintes de la DF peuvent connaître de la douleur, une sensation de plénitude, des ballonnements, une incapacité de terminer leurs repas, des brûlures d’estomac, un goût sûr dans la bouche, une éructation excessive, des nausées et parfois des vomissements. En effet, une étude britannique réalisée en 1996 a révélé que, malgré le fait qu’elles avouaient en savoir très peu sur le SII, 90 % des infirmières estimaient que cette maladie « était seulement dans la tête des patients ».1 Plus récemment, une étude menée en 2003 a permis de constater que les médecins de famille avaient des perceptions négatives des patients atteints du SII, lesquelles risquaient d’avoir un effet défavorable sur les soins qu’ils leur donnaient.2

Nous savons maintenant, catégoriquement, que les troubles gastro-intestinaux fonctionnels, tels que le SII et la DF, sont des maladies authentiques touchant une grande partie de la population, et que bon nombre de ces personnes ne demandent jamais de soins médicaux pour leurs symptômes. Des corps médicaux nationaux et internationaux bien connus ont mis au point des mesures de symptômes claires et bien définies qui permettent de diagnostiquer à la fois le SII et la DF. Ces cliniciens de la santé ont également développé des régimes de traitement appropriés, et une abondante littérature médicale contribuant à la prise en charge de ces troubles vient corroborer leurs travaux.

Il ne faut quand même pas négliger le lien esprit-corps. De nombreuses études établissent la preuve d’un lien entre les événements stressants de la vie ou le stress chronique et l’intensité des symptômes. Certains médecins croient qu’un modèle biopsychosocial de la maladie aide à comprendre que les troubles gastro-intestinaux fonctionnels sont des conditions médicales complexes intéressant des interactions étroites entre les composantes biologiques, psychologiques et sociales.

Organique ou fonctionnelle?
Une maladie organique en est une où il y a un changement dans la structure d’un tissu ou d’un organe du corps, alors que dans le cas d’un trouble fonctionnel, des symptômes se manifestent sans cause physique ou physiologique apparente, et il n’existe aucun test pour le diagnostiquer. Certains attribuent une origine psychologique ou psychiatrique à un symptôme fonctionnel par défaut.

Le lien cerveau-intestin

Quoique la pathophysiologie du syndrome de l’intestin irritable ne soit pas entièrement comprise, des chercheurs croient qu’un important indice repose dans la relation entre le système nerveux central et le système nerveux entérique (système qui contrôle le tractus gastro-intestinal), connue sous le nom d’axe cerveau-intestin. Imaginez une rue à double sens animée : dans une direction, le système nerveux central envoie des signaux au système digestif, lui indiquant quand s’activer, alors que dans l’autre direction, les intestins transmettent des messages au cerveau, qui crée par la suite des sensations de plénitude, de faim, d’inconfort ou de douleur. Ces deux « centres de contrôle » utilisent l’agent chimique sérotonine comme neurotransmetteur important.3 Dans l’intestin, qui renferme 95 % de la sérotonine du corps entier, la sérotonine transmet également des signaux importants qui déclenchent le péristaltisme et une action sécrétoire. Des chercheurs postulent que chez les patients atteints du SII, ces voies connaissent une fonction ou une activité anormale liée aux niveaux de sérotonine4 et que c’est peut-être justement parce que le cerveau et l’intestin sont hautement intégrés que des facteurs non biologiques jouent un rôle important dans leur étiologie.

Le modèle biopsychosocial

Le modèle biopsychosocial (BPS), qui est une façon de considérer la maladie, maintient que de nombreux facteurs interagissent pour provoquer la maladie. Les grands principes de ce modèle ont été élaborés par George Engel en 1977 en réponse à ce qu’il percevait comme étant le besoin pour les médecins de traiter toutes les dimensions possibles de la maladie, c’est-à-dire les aspects biologiques, psychologiques et sociaux. À l’époque où Engel a avancé ses idées, la principale façon de voir la maladie était de se pencher uniquement sur les facteurs biologiques entrant en jeu dans l’étiologie de la maladie (ce que certains appellent le modèle biomédical). Engel croyait que ce n’était qu’en adoptant une vue d’ensemble que le corps médical arriverait à bien comprendre les origines, l’expression, l’évolution et les effets de la maladie.

Une des choses que l’on reproche à ce modèle est son manque de spécificité. Les chercheurs dans le domaine médical veulent savoir comment les différents facteurs contribuent à certains résultats en matière de santé; or, dans le modèle BPS, chacun des divers éléments peut jouer un rôle important, jouer un rôle secondaire ou même ne jouer aucun rôle chez une personne en particulier ou dans une affection en particulier. En raison de cette « zone grise », les patients courent le risque que les symptômes physiques dont ils se plaignent soient attribués à des facteurs psychologiques – cette vulnérabilité peut être facilement exploitée par les sociétés d’assurance maladie. Une autre faiblesse du modèle BPS réside dans le fait que les médecins trouvent qu’il est difficile à mettre en pratique. L’identification des nombreuses dimensions en jeu chez chaque patient individuel peut s’avérer une tâche presque impossible sans un cadre très clair pour l’incorporer dans la pratique quotidienne.5,6,7

La pathophysiologie est l’étude de la perturbation des fonctions mécaniques, physiques et biochimiques normales, qui est soit causée par une maladie, soit le résultat d’une maladie ou d’un syndrome ou trouble anormal qui pourrait ne pas être qualifié de maladie.

La recherche jette une certaine lumière

La recherche a permis de découvrir certains facteurs associés à l’expression du SII. Plusieurs des liens établis comprennent notamment un important événement stressant de la vie, le stress chronique, des antécédents signalés de sévices physiques, sexuels ou émotionnels, un faible poids à la naissance et des éléments déclencheurs environnementaux tels qu’une gastro-entérite bactérienne. Dans certains cas, l’intensité des symptômes du SII est liée à la gravité du facteur particulier qui y est associé. Pour s’attaquer à certains de ces facteurs et essayer de traiter les symptômes associés au SII, bon nombre d’études ont examiné divers traitements psychothérapiques, avec des résultats variables.8 Ces approches comprennent l’apprentissage de techniques de relaxation, une psychothérapie dynamique, l’hypnothérapie et des psychothérapies combinées. Une étude approfondie publiée en 2003 a démontré qu’un traitement psychologique pouvait être efficace dans le cas du SII, mais ne pouvait tout de même pas établir qu’une thérapie en particulier fonctionnait mieux que les autres.9

Deux récentes études notables impliquant de vastes échantillons et une méthodologie rigoureuse ont démontré des résultats prometteurs. Dans la première étude, une thérapie cognitivo-comportementale (TCC) a été comparée à des séances d’éducation du patient. Bien que les scores de la douleur n’étaient pas significativement différents entre les groupes, la TCC s’est démontrée supérieure en ce qui concerne la satisfaction vis-à-vis du traitement et du bien-être général.10 La seconde étude a établi une comparaison entre un traitement pharmaceutique, une psychothérapie et un groupe témoin recevant un traitement standard pour le SII; un an après le début du traitement, des améliorations importantes quant à la qualité de vie liée à la santé ont été constatées chez les groupes visés par l’étude, sauf au niveau des scores de la douleur abdominale.11 Les deux études ont conclu que la psychothérapie était moins efficace chez les patients atteints du SII qui souffraient également d’autres problèmes de dépression.

Le traitement réussi du SII et de la DF prend de nombreuses formes, s’attaquant à toutes les dimensions de la maladie. Certaines approches pharmacologiques ciblent les niveaux et les voies de transmission de la sérotonine, alors que d’autres produisent un effet analgésique ou concentrent sur les mécanismes biologiques

L’avenir

Quand votre médecin vous pose des questions au sujet de votre famille ou de votre travail au moment où il évalue vos symptômes GI, ne présumez pas qu’il essaie d’insinuer que vos symptômes sont imaginaires. Déterminer votre état psychologique peut l’aider à déceler certains stress psychosociaux qui, lorsqu’ils sont traités, pourraient calmer vos symptômes liés au SII. Il n’est toujours pas clair si les symptômes physiques diminuent vraiment avec les thérapies psychologiques; pourtant, les aptitudes de gestion de la maladie et la qualité de vie s’améliorent réellement, se traduisant potentiellement par moins d’absences du travail et moins de visites chez le médecin, résultats positifs qui valent la peine d’être explorés.


Publié pour la première fois dans le bulletin The Inside Tract® numéro 166 Mars – Avril 2008
1. Letson S, Dancey CP. Nurses’ perceptions of irritable bowel syndrome (IBS) and sufferers of IBS. Journal of Advanced Nursing. 1996; 23:969-974.
2. Longstreth GF, Burchette RJ. Family practitioners’ attitudes and knowledge about irritable bowel syndrome: effect of a trial of physician education. Family Practice. 2003; 20:670-674.
3. Woolston, C. Gut feelings: the surprising link between mood and digestion. Consumer Health Interactive. 2001; August 27. Available from: http://www.ahealthyme.com/article/primer/101186767. Accessed March 19, 2008.
4. Gershon MD, Chang L. IBS and serotonin. The Inside Tract. 2005; Issue 144 (July/August).
5. (2 references) McLaren N. The myth of the biopsychosocial model. Comment in: Australian and New Zealand Journal of Psychiatry. 2006; 40(3): 277-278. AND Weston WW. Patient-centred medicine: a guide to the biopsychosocial model. Families, Systems, and Health. 2005; 23(4):387-405.
6. United States Office of the Surgeon General. Biopsychosocial model of disease. Available from: http://www.surgeongeneral.gov/library/mentalhealth/chapter2/sec3.html#biosocial. Accessed March 19, 2008.
7. Borrell-Carrió F, Suchman AL, Epstein RM. The biopsychosocial model 25 years later: principles, practice, and scientific inquiry. Annals of Family Medicine. 2004; 2(6):576-582.
8. Jones MP, Crowell MD, Olden KW, Creed F. Functional gastrointestinal disorders: an update for the psychiatrist. Psychosomatics. 2007; 48(2):93-102.
9. Lackner JM, Mesmer C, Morley S et al. Psychological treatments for irritable bowel syndrome: a systematic review and meta-analysis. Journal of Consulting and Clinical Psychology. 2004; 72:1100-1113.
10. Drossman DA, Toner BB, Whitehead WE et al. Cognitive-behavioral therapy versus education and desipramine versus placebo for moderate-to-severe functional bowel disorders. Gastroenterology. 2003; 125:19-31.
11. Creed F, Fernandes L, Guthrie E, et al. The cost-effectiveness of psychotherapy and paroxetine for severe irritable bowel syndrome. Gastroenterology. 2003; 124:303-317.
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