Chaîne d’approvisionnement en médicaments
Depuis la recherche sur une seule molécule jusqu’au produit final prêt à être utilisé par les patients, en passant par les essais cliniques, le développement des médicaments est un très long processus. Des études estiment que celui-ci peut prendre environ de 12 à 15 ans, les coûts de la recherche et du développement se chiffrant de 900 millions à 2 milliards de dollars américains pour chaque médicament.1
Suivant la découverte et la mise au point de médicaments, la chaîne d’approvisionnement comporte quatre étapes : les approbations réglementaires, la fabrication, l’approvisionnement et la distribution, puis la livraison en première ligne aux patients suivant une visite chez le médecin pour obtenir une ordonnance.
Le présent article simplifie le processus afin que nous puissions examiner les étapes selon une perspective globale.
Pour faire entrer leurs produits sur le marché canadien, les fabricants de médicaments doivent soumettre leurs recherches sur un nouveau médicament à Santé Canada. Dans le cadre de ce premier volet de l’approbation réglementaire, Santé Canada examine l’innocuité, l’efficacité et la qualité du produit. Il existe différentes voies de demande, puisque certains nouveaux médicaments, comme ceux visant les maladies et les troubles rares, possèdent des qualités uniques qui nécessitent un processus d’examen spécifique.2
Si un produit est approuvé, un certain nombre d’organismes fédéraux, provinciaux ou territoriaux gèrent les prix des médicaments et décident s’ils couvriront le nouveau médicament dans le cadre de leurs régimes publics d’assurance médicaments et, si tel est le cas, selon quelles modalités. Les organismes de régimes d’assurance médicaments privés, quant à eux, peuvent commencer à négocier les prix de nouveaux médicaments avec les fabricants une fois l’approbation de Santé Canada reçue.
Les fabricants de médicaments sont chargés d’obtenir et d’entreposer les ingrédients médicamenteux et les produits finis. Cependant, environ 70 % de nos médicaments d’ordonnance proviennent de fabricants étrangers, et près de 90 % des médicaments que nous produisons au Canada nécessitent des ingrédients et des matières premières provenant d’autres pays.3 Par conséquent, les changements apportés aux politiques internationales, les restrictions frontalières et les crises mondiales (c.-à-d. les trois C : COVID-19, climat et conflits) peuvent perturber la chaîne d’approvisionnement en médicaments et avoir des répercussions importantes sur la disponibilité de tous les médicaments au Canada, y compris les produits génériques. Les fabricants peuvent également connaître des problèmes internes de chaîne d’approvisionnement touchant les ingrédients médicamenteux ou les matériaux d’emballage par exemple, les empêchant d’expédier le produit fini au Canada.
Lors de l’approvisionnement et de la distribution, les fabricants peuvent choisir des distributeurs pour leurs médicaments. Les hôpitaux et les autorités sanitaires font également appel à des grossistes, à des organismes de groupement d’achats spécialisés et à des organismes de services partagés pour négocier des médicaments en vrac auprès de distributeurs et directement auprès de sociétés pharmaceutiques.4 Le Canadian Pharmaceutical Distribution Network et McKesson Canada comptent parmi les plus grandes sociétés de distribution au Canada. Ces deux sociétés desservent nos hôpitaux, nos pharmacies communautaires et nos cliniques.
Enfin, à la dernière étape de la chaîne d’approvisionnement, les professionnels de la santé prescrivent, livrent ou administrent ces médicaments aux patients.
Vidéo sur la chaîne d’approvisionnement en médicaments
Pénurie de main-d’œuvre et épuisement professionnel
La pandémie de COVID-19 a exercé des pressions sans précédent sur nos systèmes de soins de santé et leur personnel, entraînant un épuisement professionnel, des taux de roulement élevés et des retraites anticipées parmi les professionnels de la santé. Cette période a également été stressante et désastreuse pour les patients : aucun accès à un médecin de famille pour des milliers d’entre eux, une longue attente pour les chirurgies et les rendez-vous, la fermeture de salles d’urgence, une pénurie de lits d’hôpitaux, et bien plus encore. Le soutien et les services en santé mentale ont également été considérablement réduits, tout comme l’accès aux traitements oncologiques, lesquels visent des populations particulièrement vulnérables.
Malgré ces défis continus, l’inflation augmente toujours alors que le financement, en particulier celui pour la main-d’œuvre, reste extrêmement faible. L’absorption des coûts plus élevés des biens et services au moyen d’un financement et d’une rémunération faibles peut entraîner d’autres pertes d’emplois ainsi que des retards ou des réductions de livraisons. Cela peut exacerber les pénuries de médicaments et entraîner l’abandon de produits et la diminution des services aux patients dans les pharmacies et au sein de programmes de soutien aux patients.
En 2021, 126 000 postes étaient vacants dans le secteur des soins de santé et de l’aide sociale, ce qui est presque le double du nombre rapporté en 2019. L’augmentation s’est produite principalement dans les hôpitaux et dans les établissements de soins infirmiers et de soins pour bénéficiaires internes.5 Les personnes cherchant à changer d’emploi ont cité le stress, l’épuisement professionnel et la santé mentale comme principales raisons de quitter le secteur des soins de santé. Le fardeau supplémentaire que représente la pandémie pour un système de soins de santé mis à rude épreuve pourrait avoir poussé certains médecins à prendre une retraite anticipée. En Ontario, une étude a révélé que 3,1 % des 12 247 médecins de famille praticiens dans la province ont quitté leur travail au cours des six premiers mois de la pandémie, soit un taux deux fois plus élevé que celui des années précédentes.6 Bien que ce pourcentage puisse être faible, les auteurs de l’étude estiment qu’environ 170 000 patients sont maintenant sans médecin de famille en raison de ces changements. Ces patients s’ajoutent aux 10 % des Ontariens qui n’avaient pas de médecin avant le début de l’étude et aux 1,7 million qui ont un médecin de famille âgé de plus de 65 ans. Les auteurs ont effectué deux analyses en utilisant des données dépersonnalisées, y compris des réclamations de facturation et des informations démographiques. Ils ont remarqué que plusieurs des arrêts de travail étaient possiblement associés à la retraite, soit un âge plus avancé (75 ans ou plus), au fait d’avoir moins de 500 patients et à un nombre d’heures de travail inférieur à celui d’autres médecins. Cependant, d’autres recherches sont requises pour mieux comprendre l’impact de la pandémie sur les services de soins primaires.
Les gouvernements partout au Canada sont bien conscients de la crise de la main-d’œuvre et des ressources que connaissent nos systèmes de santé. Elle est au cœur des enquêtes du Comité permanent de la santé du gouvernement fédéral depuis février 2022.7 Le Comité continue de rencontrer diverses parties prenantes en vue d’élaborer des recommandations pour résoudre cette crise. Le gouvernement fédéral a aussi pris des démarches afin que les médecins étrangers puissent plus facilement pratiquer au Canada. Les médecins peuvent faire une demande de résidence permanente par le biais du système Entrée express et le gouvernement offre des fonds aux provinces et aux territoires afin de les aider à établir un moyen de reconnaître les titres de compétence acquis à l’étranger.8 Des discussions sont en cours entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux sur l’augmentation du financement dans le secteur des soins de santé.
La Colombie-Britannique a récemment apporté quelques modifications aux modalités du salaire des médecins afin de tenir compte du temps et des ressources qu’ils utilisent dans leur prestation de soins aux patients.9 Nous nous attendons à ce que d’autres régions suivent dans ses pas. Des progrès ont également été réalisés en ce qui concerne l’élargissement du cadre des fonctions des pharmaciens — nous offrirons des précisions sur ce sujet dans le prochain numéro du bulletin.
Malheureusement, comme nos systèmes de soins de santé sont complexes et multifactoriels, ces efforts ne suffiront peut-être pas à eux seuls à éliminer les obstacles dans le secteur des soins et de la chaîne d’approvisionnement en médicaments.
Changements réglementaires
Chaque étape de la chaîne d’approvisionnement comprend de nombreux processus qui peuvent influer sur la disponibilité et l’accessibilité des médicaments dont nous avons besoin. Les coûts des ressources et des services spécialisés tout au long de la chaîne d’approvisionnement entrent également en jeu dans le prix des médicaments. Cependant, plusieurs modifications coûteuses de la réglementation, dont beaucoup semblent redondantes lorsque comparées aux mesures existantes, visent à faire baisser encore plus les prix. Cela peut avoir des conséquences importantes sur la chaîne d’approvisionnement et la disponibilité des médicaments nouveaux et existants au Canada.
Le Canada est vulnérable aux répercussions découlant de problèmes de la chaîne d’approvisionnement. De 2017 à 2022, près de 50 % de tous les médicaments du pays ont connu une pénurie à un moment donné.10 Les É.-U., qui représentent 46 % du marché mondial et dont les prix des médicaments sont les plus élevés au monde, préparent le terrain pour permettre aux états d’importer des médicaments canadiens afin de profiter de nos faibles prix.11 Pourtant, le Canada ne représente que 2 % du marché mondial des médicaments.12 Cela signifie qu’il fait concurrence à d’autres pays dans l’obtention d’ingrédients pharmaceutiques, l’attrait de nouveaux médicaments au pays et les essais cliniques (pour déterminer les mécanismes d’action des médicaments). De plus, le Canada risque maintenant de perdre son approvisionnement aux É.-U.
Pendant l’étape des approbations réglementaires, plusieurs mesures sévères poussent le prix d’un médicament à la baisse. Il s’agit notamment de celles de l’Alliance pancanadienne pharmaceutique (APP), organisme au moyen duquel les gouvernements canadiens négocient des prix plus bas pour les médicaments, ainsi que des politiques et des outils utilisés par les régimes d’assurance médicaments publics et privés pour réduire le prix des médicaments. Ces mesures ont réussi à gérer les prix : l’APP a réalisé 2,58 milliards de dollars d’économies annuelles supplémentaires grâce à ses négociations conjointes avec les fabricants relativement aux ententes sur la liste des produits, ainsi qu’aux réductions de prix des médicaments génériques en 2019, un chiffre qui est probablement beaucoup plus élevé aujourd’hui.13
Malheureusement, des changements réglementaires sont de nouveau à l’horizon pour le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB). Le CEPMB est une agence fédérale et quasi judiciaire, ainsi qu’un organisme de réglementation dont le mandat est de fixer les prix maximums auxquels les médicaments brevetés peuvent être vendus au Canada et de fournir des rapports annuels sur les tendances des prix dans l’industrie pharmaceutique.14 Nous sommes le seul pays au monde à réglementer les prix maximums des médicaments. Le CEPMB existe depuis 1987, époque où le Canada ne disposait pas de l’APP, ni d’autres politiques et outils. Dans un effort visant à se moderniser et à rattraper ses pairs, le CEPMB a entrepris une mission de modifier ses lignes directrices en 2015, ce qui a mené à la création de propositions qui ont été assujetties à un examen minutieux par des experts, des professionnels de la santé, des patients et d’autres parties prenantes. Nous n’avons pas soutenu ces changements draconiens qui réduiraient encore plus notre accès à des médicaments vitaux. Certains de ces changements ont même été invalidés par les tribunaux.15
Ces poursuites ont été coûteuses et les changements proposés prévoient d’importantes augmentations des budgets opérationnels du gouvernement. En réponse aux décisions des tribunaux, le CEPMB a publié une nouvelle ébauche de changements, mais ceux-ci continuent de faire baisser sensiblement les prix tout en donnant à son personnel plus de pouvoirs discrétionnaires dans les enquêtes sur les prix des médicaments (plus de frais opérationnels). Des experts, dont d’anciens membres du personnel du CEPMB qui ont travaillé à l’élaboration de ses politiques lors de la création de l’organisme, ont émis des avertissements sur ces nouveaux changements.16 Lorsque le gouvernement force le prix d’un médicament à un niveau trop bas et émet des règles peu claires sur la façon de suivre ses lignes directrices, il pourrait ne plus être viable pour les fabricants de produits pharmaceutiques de vendre leurs médicaments au Canada. Cela concerne aussi bien les médicaments nouveaux que les médicaments existants, qui pourraient disparaître du marché canadien, de sorte à ne plus être disponibles, même par l’entremise d’un régime privé d’assurance médicaments.
L’avenir
Le CEPMB organise une autre série de consultations concernant sa dernière proposition de changements. La Société gastro-intestinale continue de s’engager activement auprès des organisations de patients et du gouvernement fédéral sur ce sujet et se penche sur les pénuries de main-d’œuvre et de ressources en matière de soins de santé, et le sujet du régime national d’assurance médicaments, entre autres.
Pour en savoir plus sur le CEPMB et sur la façon dont les changements proposés peuvent influencer notre accès aux médicaments, consultez notre rapport d’impact sur le CEPMB.