Les profonds effets des bactéries intestinales
Contrôler le poids, l’humeur et le SII au moyen des bactéries intestinales
Les cellules non humaines qui se trouvent à l’intérieur et à l’extérieur de notre corps sont dix fois plus nombreuses que nos cellules humaines. Chaque personne possède un microbiome unique, c’est-à-dire un mélange et un nombre précis de bactéries, de champignons, de virus et d’autres microorganismes. Notre tractus gastro-intestinal (GI) héberge environ 100 mille milliards de cellules microbiennes et 1 000 espèces microbiennes, pesant ensemble environ trois ou quatre livres. Les plus de 8 millions de gènes présents dans le microbiome influencent également les 23 000 gènes de notre corps, lesquels contrôlent qui nous sommes. De plus en plus d’études révèlent un rapport entre le microbiome d’une personne et des problèmes de santé en apparence différents, tels que l’obésité, les humeurs changeantes et le syndrome de l’intestin irritable (SII). Nous limiterons le présent article à ces trois affections, qui ont des conditions physiologiques sous-jacentes communes et qui sont affectées par les bactéries intestinales.
L’obésité et la diversité du microbiome
Selon des études menées auprès de jumeaux, les personnes obèses semblent posséder une population bactérienne moins dense et moins diverse dans le tractus GI comparativement aux personnes non obèses.1
Les effets que le microbiome a sur la prédisposition d’une personne à l’obésité pourraient se faire sentir dès la naissance. Les bébés nés par le canal génital ingèrent davantage de bactéries de leur mère que ceux nés par césarienne, permettant ainsi à leur corps de coloniser toute une variété de bactéries bénéfiques auxquelles les bébés nés par césarienne ne sont pas exposés. La consommation d’antibiotiques en début de vie, lesquels détruisent souvent à la fois les bactéries pathogènes et bénéfiques dans l’intestin, pourrait miner encore davantage la capacité du tractus GI en développement à cultiver un microbiome divers et sain.
Certains chercheurs mettent déjà au point de nouveaux traitements. Une étude récente consistait à exposer les bébés nés par césarienne au fluide vaginal de leur mère à la naissance en vue de les aider à coloniser le plus tôt possible un mélange divers de bactéries bénéfiques.
Dans une infection à C. difficile, ces bactéries pathogènes se multiplient dans le tractus GI, entraînant une diarrhée et des douleurs abdominales continues. La recherche sur la transplantation de selles d’un donneur en santé dans le côlon de personnes souffrant d’une infection à C. difficile s’avérant difficile à traiter, révèle que la transplantation fécale pourrait constituer un traitement révolutionnaire. Les transplantations fécales visent à rétablir une population saine de bactéries bénéfiques dans le tractus GI. Avec un objectif semblable en tête, des scientifiques commencent à mener des études sur les transplantations fécales en vue de diversifier le microbiome chez les personnes obèses.
Toutes les bactéries bénéfiques ne sont pas égales
Dans une étude animale récente, des souris que les chercheurs ont injectées de bactéries provenant de personnes obèses ont accumulé davantage de graisse corporelle et ont développé un microbiome moins divers que les souris injectées de bactéries provenant de personnes moins lourdes.1 Lorsque les chercheurs ont injecté les souris plus lourdes avec un mélange de 39 types de bactéries provenant des souris moins lourdes, ils n’ont observé aucun effet. Par contre, lorsqu’ils ont injecté un mélange contenant 54 différents types de bactéries provenant des souris moins lourdes, les souris plus lourdes ont retrouvé un poids santé.
Cette étude a démontré une relation de cause à effet entre les bactéries intestinales et le poids. Elle suggère aussi qu’il existe la possibilité de modifier le microbiome d’une personne. Les scientifiques spéculent que certains types de bactéries jouent un rôle précis et que certaines bactéries sont responsables de maintenir un métabolisme et un poids sains. Par exemple, la recherche indique que certaines bactéries bénéfiques aident à supprimer la ghréline, une hormone qui déclenche la sensation de faim.2
Des recherches futures tenteront d’isoler encore davantage ces souches de bactéries.
Des probiotiques et un régime appropriés
Les régimes riches en aliments transformés sont associés à une population bactérienne intestinale moins diverse. Dans la même étude animale décrite ci-dessus, lorsque les souris plus lourdes et moins lourdes étaient réunies et consommaient un même régime équilibré riche en fibres, les bactéries bénéfiques des souris moins lourdes colonisaient l’intestin des souris plus lourdes, lesquelles perdaient alors du poids. Par contre, lorsqu’elles consommaient un régime riche en aliments transformés et pauvre en fibres, les souris plus lourdes étaient incapables de subir une colonisation des bactéries bénéfiques qu’elles ingéraient de par leur contact avec les souris moins lourdes. Cette situation suggère qu’un supplément de probiotiques ne serait pas efficace par lui-même.
Les bactéries qui se trouvent dans le tractus GI métabolisent les fibres insolubles, ce qui crée des acides gras à chaîne courte (AGCC). Les AGCC sont associés à la régulation de l’appétit, à la santé gastro-intestinale et cardiovasculaire et à la prévention du cancer.2,3
Certains AGCC qui pénètrent le cerveau peuvent avoir un effet psychotrope (semblable aux médicaments destinés aux affections psychologiques).4
Des fibres et des bactéries doivent toutes deux se trouver dans le tractus GI afin de produire ces AGCC bénéfiques. Les traitements futurs de l’obésité, des affections connexes telles que le diabète de type II et même des affections psychologiques telles que la dépression pourraient comprendre un régime alimentaire équilibré, riche en fibres, en plus de suppléments probiotiques spécialisés.1
Des psychobiotiques pour traiter la dépression et l’anxiété
Il y a plusieurs décennies de cela, des chercheurs ont observé des taux réduits de lactobacilles dans l’intestin des souris stressées; il s’agit d’un groupe majeur de bactéries bénéfiques.5 Des études commencent à démontrer que la colonisation de bactéries bénéfiques dans l’intestin peut avoir un effet psychologique positif. « Psychobiotiques » est un nouveau terme qui décrit les probiotiques servant à traiter les affections psychologiques.6
Dans une étude récente menée auprès de 55 participants en bonne santé (n’affichant aucune dépression, etc.), les personnes ayant pris un supplément probiotique de L. helveticus et de B. longum tous les jours pendant un mois ont connu une réduction importante du stress psychologique comparativement aux participants ayant pris un placebo.4
Les études préliminaires suggèrent que bien que la plupart des souches de bactéries n’ont probablement aucun effet sur la santé mentale, de nouvelles recherches tenteront d’isoler les souches qui en ont un. Il est important de noter que ces études n’en sont qu’à leurs débuts et qu’aucune formulation psychobiotique testée n’est actuellement disponible sur le marché
Comprendre l’axe intestin-cerveau
La dépression et les troubles anxieux, de même que l’obésité, sont associés à certains biomarqueurs dans le cerveau. Des études animales montrent qu’un microbiome moins divers avec un taux réduit de bactéries bénéfiques est associé à ces mêmes biomarqueurs. Dans des études menées sur des souris, la modification des bactéries intestinales a révélé un effet sur les comportements dépressifs et anxieux, ainsi que sur les biomarqueurs sous-jacents.
Le système endocrinien aide à régulariser l’humeur, l’appétit et d’autres fonctions en libérant des hormones des glandes, y compris celles trouvées dans le tractus GI. La dépression majeure est associée à un taux élevé de cortisol, une hormone libérée en réponse au stress. Dans des études animales, l’administration de L. helveticus et de B. longum a réduit les taux de cortisol.2
Le complexe système immunitaire a développé des moyens de profiter de certaines souches bactériennes tout en luttant contre les organismes pathogènes. Un équilibre entre les réponses anti- et pro-inflammatoires constitue un signe de santé et est bénéfique pour nos organes, y compris notre cerveau. Une inflammation sous-jacente dans le cerveau que les chercheurs observent dans les cas de dépression et d’obésité est liée à cette réponse immunitaire.7,8 Un microbiome riche et équilibré aide à maîtriser ces processus d’inflammation.
La dépression est parfois associée à une déficience en acide gamma-aminobutyrique (GABA), lequel est un neurotransmetteur.6,7 Certaines bactéries dans l’intestin sécrètent le GABA et d’autres produisent d’autres neurotransmetteurs liés à la santé mentale, tels que la noradrénaline, la sérotonine et la dopamine.
Les prochaines étapes à franchir dans ce domaine consistent à mener des études sur les humains qui se pencheront sur le microbiome particulier des personnes souffrant de dépression ou d’un trouble anxieux.8
Le syndrome de l’intestin irritable
Les études administrant des probiotiques pour traiter le syndrome de l’intestin irritable (SII) – un trouble gastro-intestinal fonctionnel mettant en cause des malaises abdominaux récurrents et des selles irrégulières – sont prometteuses mais incohérentes.6 Les chercheurs examinent maintenant de plus près cette affection complexe.
Dans une étude récente, 16 patients atteints du SII à diarrhée prédominante (SII‑D) avaient un microbiome moins divers, un taux réduit de bactéries bénéfiques et des taux accrus de bactéries pathogènes comparativement aux 21 participants témoins en bonne santé.9 La recherche a démontré un lien entre le stress en début de vie et la dépression ainsi que le SII. Le stress en début de vie est également associé au développement d’un microbiome moins divers, du moins dans les études animales.
Environ la moitié des patients atteints du SII souffrent d’une affection psychologique.5 La recherche actuelle examine la manière dont les probiotiques pourraient atténuer les symptômes du SII en modifiant les états psychologiques sous-jacents liés à la dépression et à l’anxiété. Dans une petite étude de huit semaines menée auprès de 77 participants atteints du SII, B. infantis a atténué les symptômes du SII par rapport au placebo; ce n’était pas le cas de L. salivarius.10
Le traitement avec B. infantis semblait normaliser les biomarqueurs des réponses immunitaires inflammatoires chez ces patients, en plus d’atténuer leurs symptômes physiques.
La recherche future
Un défi persiste pour les recherches dans ce domaine, à savoir la différence entre les microbiomes, même chez les personnes ayant grandi au sein de la même communauté ou de la même famille. Les études futures procéderont probablement à un séquençage approfondi de l’ADN du microbiome afin de mieux comprendre ces différences et de mettre au point des traitements plus ciblés.