Les IPP font-ils obstacle au microbiome intestinal?

Les médecins prescrivent couramment des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) dans le traitement et la prévention des symptômes associés au reflux gastro-œsophagien (RGO) pathologique et aux ulcères gastro-duodénaux. Les IPP inhibent la sécrétion d’acide gastrique entraînant une réduction d’acide dans l’estomac (hypochlorhydrie). Bien qu’un faible taux d’acide offre l’occasion à une muqueuse lésée du tractus GI supérieur de guérir, les chercheurs se sont demandé si l’utilisation d’IPP à long terme pourrait avec des répercussions négatives sur les bactéries colonisant les intestins (microbiome) et sur le corps en général.

L’acide gastrique ne sert pas simplement à faciliter la digestion des aliments; il joue aussi un rôle important dans la réduction des bactéries néfastes ingérées avec de la nourriture ou provenant de contaminants environnementaux. Certaines études lient un taux réduit d’acide gastrique à un risque accru d’infections par des bactéries toxiques telles qu’E. coli, Salmonella et Clostridium difficile.1 Dans le cadre d’une étude menée en 2016, des chercheurs canadiens ont cherché à déterminer si l’utilisation d’IPP pouvait occasionner une infection à Clostridium difficile (ICD) en inhibant le microbiome intestinal de façon à encourager la prédominance de mauvaises bactéries.

C. difficile : Un cauchemar pour la médecine moderne

Clostridium difficile, ou C. difficile, est la cause la plus courante au monde de diarrhée infectieuse. Elle est une bactérie anaérobie génératrice de spores qui est présente dans le sol, dans les selles humaines et dans certains milieux comme les hôpitaux, les foyers de soins infirmiers et les garderies. Les bactéries anaérobies n’ont pas besoin d’oxygène pour survivre et peuvent donc efficacement coloniser le côlon. Elles peuvent persister en milieu hospitalier pendant plusieurs mois, voire des années, sous forme de spores, résistant à la chaleur et à la sécheresse. Parmi les symptômes d’une ICD, l’on compte une diarrhée liquide, une déshydratation, une fièvre, une perte d’appétit et une douleur ou sensibilité abdominale. En raison de leur résilience, ces bactéries sont difficiles à gérer.

Les contacts avec C. difficile n’entraînent pas tous une diarrhée infectieuse. Seulement de 40 à 60 % des gens dont l’organisme est colonisé par ces bactéries développeront des symptômes. Une diarrhée associée à l’infection ne se produira qu’en l’occurrence de circonstances précises. Pour commencer, il doit se produire une perturbation quelconque de l’équilibre normal des bactéries naturellement présentes dans le côlon. L’utilisation d’antibiotiques est un facteur de risque à cet égard puisque ces médicaments influent sur le taux de toutes les bactéries dans le corps, même les bonnes bactéries, permettant aux bactéries pathogènes de croître. Suivant la perturbation, il doit y avoir une exposition à C. difficile, la bactérie se multipliant rapidement dans le côlon qui ne contient maintenant qu’un faible taux de bonnes bactéries protectrices. Enfin, la population croissante de bactéries produit des toxines, entraînant une infection et une diarrhée connexe. Malheureusement, l’incidence d’ICD devient de plus en plus fréquente et grave, et ce, à l’échelle mondiale. Pour obtenir des renseignements supplémentaires à ce sujet, visionnez la vidéo de la Société GI portant sur C. difficile.

Les Canadiens à l’étude

Dans le cadre d’une petite étude se penchant sur le microbiome intestinal des utilisateurs d’IPP, des scientifiques canadiens ont examiné 61 Manitobains, dont 32 étaient des utilisateurs à long terme d’IPP et 29 des non-utilisateurs (groupe témoin).2 Les utilisateurs à long terme ont consommé plus de 180 comprimés d’IPP dans chacune des cinq années précédant l’étude. Chaque sujet a fourni un échantillon de selles à des fins de caractérisation de leur microbiome. La plupart des personnes à qui l’on prescrit des IPP prennent un comprimé par jour de façon continue.

En examinant les échantillons de selles des deux groupes, l’étude a déterminé qu’une utilisation à long terme n’entraînait pas des changements dans la diversité globale des bactéries du microbiome intestinal. Cependant, le nombre de bactéries de certaines familles bactériennes différait entre les deux groupes. Par exemple, chez les sujets du groupe témoin, les bactéries du phylum des Bacteroidetes étaient plus nombreuses que chez les utilisateurs d’IPP à long terme. D’autre part, les utilisateurs d’IPP à long terme abritaient une plus grande quantité de bactéries du phylum des Firmicutes que les non-utilisateurs. En parallèle, l’étude a décelé une augmentation des organismes de la famille des Lachnospiraceae, des genres Holdemania, Streptococcus et Blautia, et du groupe de Clostridium XIVa chez les sujets prenant des inhibiteurs de la pompe à protons pendant au moins cinq ans. Ces résultats suggèrent qu’une utilisation à long terme de ce médicament altère le microbiome intestinal en fournissant des conditions qui sont plus favorables à la croissance de certains types de bactéries que d’autres.

Fait important à noter, les auteurs signalent que ces conclusions proviennent d’une petite population du Manitoba et ils ne suggèrent pas que les utilisateurs d’IPP à long terme sont plus susceptibles à des infections comme une ICD en raison de l’altération de leur microbiome. Cette infection est habituellement associée à une diminution des organismes de la famille des Lachnospiraceae et les chercheurs ont en fait constaté une augmentation des organismes de cette famille bactérienne chez les utilisateurs d’IPP à long terme. On ne connaît toujours pas l’effet, s’il y en a un, que les différences observées dans le microbiome intestinal des utilisateurs d’IPP à long terme peuvent avoir sur leur état de santé général.

L’utilisation d’IPP à long terme est sûre

Selon une équipe de chercheurs européens, les IPP sont sûrs à long terme.3 Les auteurs de cette étude ont examiné les résultats d’une étude de douze ans et d’une étude de cinq ans se penchant sur les événements indésirables graves (EIG) associés à l’utilisation d’IPP à long terme. Les deux études ont comparé l’efficacité et l’innocuité de deux IPP différents, l’oméprazole et l’ésoméprazole, à l’efficacité de la chirurgie anti-reflux (CAR) chez les patients souffrant de RGO pathologique chronique. Au cours de l’étude de douze ans, 154 personnes ont pris l’oméprazole et 144 ont subi une CAR. Au cours de l’étude de cinq ans, 266 personnes ont suivi une thérapie à l’ésoméprazole et 248 ont subi une CAR.

Les auteurs de l’analyse globale ont constaté que l’apparition d’EIG au fil du temps était semblable chez les patients des deux études, peu importe le traitement reçu, IPP ou CAR. De plus, l’incidence d’EIG liés au tractus gastro-intestinal était très faible. Par exemple, dans l’étude de douze ans, seulement 2,6 % des personnes prenant le médicament ont signalé des douleurs abdominales et 1,3 % ont connu une hémorragie gastro-intestinale. En comparaison, 5,6 % des personnes ayant subi une chirurgie ont souffert de douleurs abdominales et 2,1 % ont connu une hémorragie gastro-intestinale. En outre, les auteurs ont noté qu’aucune des deux études n’a démontré de différences par rapport à l’occurrence d’infections entre les utilisateurs d’IPP et les personnes ayant subi une chirurgie. Cette recherche suggère que les infections intestinales (entériques) se produisant chez ceux prenant les inhibiteurs pourraient être liées à des comorbidités ou à l’utilisation d’antibiotiques qui peuvent perturber la flore intestinale normale.

Conclusion

En bref, les recherches suggèrent que l’utilisation d’IPP à long terme est sûre et n’entraîne pas plus d’événements indésirables qu’une non-utilisation d’IPP. Quoique les observations des chercheurs canadiens en ce qui concerne les changements au microbiome chez les utilisateurs d’IPP à long terme soient intéressantes et justifient des recherches plus poussées, elles ne lient pas ce traitement à un risque accru d’infections entériques. Pour l’instant, il semble que même si l’utilisation d’IPP altère le microbiome de certaines façons, elle ne l’inhibe pas nécessairement.


Publié pour la première fois dans le bulletin Du coeur au ventreMC  numéro 199 – 2016
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1. Dial S et al. Use of gastric acid-suppressive agents and the risk of community-acquired Clostridium difficile-associated disease. JAMA 2005;294:2989-2995
2. Clooney AG et al. A comparison of the gut microbiome between long-term users and non-users of proton pump inhibitors. Aliment Pharmacol Ther 2016;43:974-984.
3. Attwood SE et al. Long-term safety of proton pump inhibitor therapy assessed under controlled, randomised clinical trial conditions: data from the SOPRAN and LOTUS studies. Aliment Pharmacol Ther 2015;41:1162-1174.