Biomarqueurs
Les progrès en recherche ont ouvert la voie à la découverte de messages codés dans nos gènes, notre microbiome intestinal et une variété de processus biologiques. Bien que les biomarqueurs fassent l’objet d’études depuis plusieurs décennies déjà et qu’ils aient donné lieu à de nombreuses avancées en matière de soins, ils font partie d’un domaine d’étude qui est toujours complexe pour bon nombre de raisons. L’un des principaux obstacles réside dans le fait que de nombreux professionnels de la santé, ainsi que le public, continuent d’interpréter les biomarqueurs de différentes façons, engendrant de la confusion en matière de définitions et d’applications. En vue de promouvoir une compréhension et une sensibilisation cohérentes sur ce sujet, le présent article offre une vue d’ensemble des biomarqueurs, y compris leurs types et catégories.
Définition
Les biomarqueurs, ou marqueurs biologiques, constituent une vaste sous-catégorie d’indications objectives de l’état de santé qui sont observées de l’extérieur du patient et qui peuvent être mesurées de manière précise et reproductible.1 Ils nous permettent de cerner et de quantifier les outils et les thérapies qui conviennent aux personnes en fonction de leur constitution biologique, et ce, pour tout l’éventail des soins.
En 2008, Santé Canada a élaboré une ligne directrice sur les biomarqueurs génomiques qui les définit comme une caractéristique de l’acide désoxyribonucléique (ADN) ou de l’acide ribonucléique (ARN) que nous pouvons mesurer et utiliser pour identifier des processus biologiques dans l’organisme, des mécanismes des maladies ou les réponses de l’organisme aux traitements et aux soins.2 La US Food and Drug Administration (FDA) a des points de vue semblables, mais elle offre cette définition plus générale d’un biomarqueur : une caractéristique qui est une indication de certains processus et certaines réponses biologiques.3 En réponse aux lacunes dans la sensibilisation et l’éducation sur ce sujet, la FDA a élaboré un document évolutif pour promouvoir l’harmonisation des définitions et des classifications, qui porte le nom de BEST (biomarkers, endpoints, and other tools) Resource (Ressource BEST — biomarqueurs, critères d’évaluation et autres outils). Cependant, ces définitions et notre compréhension des biomarqueurs continuent d’évoluer au fur et à mesure que nous faisons des progrès en recherche.
Vidéo sur les biomarqueurs
Médecine de précision
Pour bien comprendre la valeur des biomarqueurs et leur rôle dans la prise en charge des soins d’une personne, il faut d’abord savoir ce qu’est la médecine de précision (également appelée médecine personnalisée). La médecine de précision vise à fournir des recommandations fondées, entre autres, sur les gènes et autres biomarqueurs, le mode de vie et les facteurs environnementaux.4 La médecine se concentre traditionnellement sur des approches de traitement normalisées et, bien que cela fonctionne bien pour la plupart des gens, certains auront besoin d’un traitement personnalisé. Nous savons maintenant qu’une même maladie chez un groupe de personnes peut présenter des compositions biologiques différentes, influençant la façon dont la maladie se présente et la façon dont elle répond au traitement chez chacun.
Types de biomarqueurs
Il existe actuellement cinq types de biomarqueurs, définis par leurs caractéristiques :3 moléculaire, radiographique, histologique, physiologique et numérique. La glycémie est un exemple d’un biomarqueur moléculaire. Dans le cas des tests d’imagerie, la taille d’une tumeur est un biomarqueur radiographique. Le diagnostic du cancer, en particulier sa classification (l’aspect des cellules cancéreuses) et la détermination de son stade (endroit, quantité et propagation), est un exemple d’un biomarqueur histologique. La pression artérielle est un exemple d’un biomarqueur physiologique. Fait intéressant, les scientifiques sont dans le processus d’évaluer si les données provenant d’applications et d’appareils personnels de suivi de la santé, tels que les téléphones intelligents et les appareils électroniques portables, peuvent constituer des biomarqueurs numériques.5
Catégories de biomarqueurs
Les biomarqueurs sont classés en fonction de leurs utilisations et applications en recherche et en matière de traitement. Les catégories sont les suivantes :
- diagnostic
- surveillance
- pharmacodynamique ou réponse
- prédictif
- pronostic
- innocuité
- susceptibilité et risque
Diagnostic
Ces biomarqueurs permettent de confirmer si une personne est atteinte d’une maladie ou d’une affection particulière.5 L’accumulation de données probantes en médecine personnalisée permettra aux biomarqueurs diagnostiques de jouer un rôle important dans la détection de maladies et de troubles rares, et de sous-types précis d’affections. Cela pourra révolutionner la façon dont nous classons les problèmes de santé, en passant d’une approche générale à une approche fondée sur la génétique et les caractéristiques biologiques. C’est déjà le cas dans le domaine du cancer où les chercheurs examinent de plus en plus les tumeurs d’un point de vue moléculaire plutôt qu’en fonction du tissu ou de l’organe où elles naissent. Ainsi, il est possible de déterminer si le cancer appartient à un sous-type particulier, ouvrant la possibilité à l’utilisation de thérapies ciblées.
Surveillance
Ces biomarqueurs sont mesurés à plusieurs reprises pour déterminer la façon dont une maladie ou une affection se développe et réagit aux traitements ou aux facteurs environnementaux pouvant provoquer des événements indésirables (agents environnementaux). Entre autres, ils servent à rechercher de nouveaux effets de la maladie, des changements dans la gravité de la maladie ou des anomalies de celle-ci, ou toute complication pouvant résulter du traitement ou de la maladie elle-même.3 La surveillance de la pression artérielle en est un exemple.
Pharmacodynamique ou réponse
Ces biomarqueurs nous permettent de savoir si une personne réagit à un médicament ou à un agent environnemental.5 Une réponse peut prendre la forme d’un changement par rapport au taux de glycémie, à la fréquence cardiaque et à d’autres indications biologiques et physiologiques qui sont pertinentes dans le cadre de résultats d’essais cliniques. Les biomarqueurs peuvent également aider à établir les recommandations posologiques d’un médicament, la durée d’un traitement et, au besoin, le moment où celui-ci doit être interrompu et remplacé par une autre thérapie.3 L’utilisation de biomarqueurs de réponse moléculaire, sous forme de pharmacovigilance thérapeutique, est bien établie chez les personnes prenant des produits biologiques pour le traitement de la maladie de Crohn et de la colite ulcéreuse.6
Prédictif
Les biomarqueurs prédictifs établissent la probabilité qu’une personne ou un groupe de personnes semblables répondra de façon positive ou négative à un traitement ou à un agent environnemental.5 Les réponses recherchées peuvent être une amélioration du taux de survie, un soulagement des symptômes ou un événement indésirable. En médecine personnalisée, ces biomarqueurs peuvent aider à cerner les traitements appropriés pour un sous-type de maladie.
Le récepteur 2 du facteur de croissance épidermique humain (HER2), une protéine favorisant une croissance anormale à l’extérieur des cellules du sein, est un biomarqueur prédictif bien connu.7 La surexpression de cette protéine peut également être présente dans d’autres cancers, comme celui de l’estomac. Les personnes présentant ce biomarqueur sont plus susceptibles de répondre favorablement aux traitements qui ciblent cette protéine, comme le trastuzumab (Herceptin®).
Pronostic
Les biomarqueurs pronostiques sont utilisés pour déterminer la possibilité, ou le risque, de progression ou de récurrence d’une maladie, ou un résultat particulier chez une personne indépendamment des traitements qu’elle reçoit.3 Toutefois, ce type de biomarqueur ne permet pas de prédire la façon qu’une personne réagira à la suite d’un traitement. Une étude provenant du R.‑U. en 20198 a mis au point et validé le premier biomarqueur pronostique sanguin pour la maladie inflammatoire de l’intestin (maladie de Crohn et colite ulcéreuse). Le test utilisant ce biomarqueur permet de déterminer si les personnes atteintes d’une MII active auront une maladie plus agressive, nécessitant en conséquence une escalade thérapeutique appropriée et précoce.
Innocuité
Les biomarqueurs d’innocuité aident à mesurer la possibilité et l’ampleur d’un épisode toxique ou d’un événement indésirable découlant de traitements ou d’une exposition à des agents environnementaux.3 Des taux élevés d’enzymes hépatiques, notamment les aminotransférases et la bilirubine, un composé jaune qui se forme en raison de la dégradation de vieux globules rouges par le foie, sont des biomarqueurs d’innocuité qui servent à prédire de graves dommages au foie.
Susceptibilité et risque
Ces biomarqueurs peuvent déterminer le niveau de susceptibilité d’une personne à une maladie ou à une affection avant tout diagnostic.3 Par exemple, certains biomarqueurs génétiques sont associés au développement de types précis de cancers. Toutefois, ce type de biomarqueur se distingue des biomarqueurs pronostiques dans la mesure où ces derniers déterminent la probabilité d’un certain résultat chez les personnes ayant déjà reçu un diagnostic d’une maladie ou d’une affection.
Maladies et troubles GI
Votre génome peut influer sur votre susceptibilité à développer la maladie cœliaque. Les scientifiques ont identifié jusqu’à présent trois variantes génétiques liées à un haplotype (un ensemble de gènes hérités des parents biologiques) qui est associé à la maladie cœliaque.9 Bien que ces gènes puissent être un biomarqueur pronostique, les scientifiques savent qu’il existe de nombreux autres facteurs qui influencent l’expression de ces gènes; il ne s’agit donc que d’une corrélation, et non d’un indicateur absolu de la maladie.
Les recherches sur les outils de dépistage du syndrome de l’intestin irritable (SII) s’appuyant sur des biomarqueurs se multiplient. Dans des numéros précédents du bulletin Du coeur au ventreMD, nous avons parlé d’une étude de l’Université McMaster portant sur des tests d’urine pour la détection précoce du SII10 et d’un test sanguin (ibs-smartTM) pour la détection du SII à diarrhée prédominante.11 Le test ibs-smartTM utilise deux biomarqueurs diagnostiques validés, l’anti-vinculine et l’anti-entérotoxine cytolétale et distendante B.
Les scientifiques ont également découvert qu’un groupe de biomarqueurs sanguins issus de notre microbiote intestinal et associés à l’inflammation pourrait être un indicateur d’un trouble dépressif majeur.12
Dans la recherche oncologique, les biomarqueurs sont des molécules biologiques créées par une tumeur ou par l’organisme. Il peut s’agir d’ADN, d’ARN, de protéines ou de petites molécules provenant des cellules cancéreuses.13 Il existe plusieurs études sur l’utilisation de biomarqueurs prédictifs, pronostiques et diagnostiques dans les cancers gastro-intestinaux. Bon nombre de biomarqueurs sont en cours de développement ou font l’objet de tests dans le cadre d’essais cliniques. En voici quelques exemples :
- cancer colorectal : EGFR, HER2, KRAS/NRAS, VEGF/VEGFR, BRAF V600E7,14
- cancer du pancréas : BRCA1 ou PALB2, SMAD4, KRAS7
- cancer de l’œsophage : PD-L115
- cancer de l’estomac : HER2, C-Met,5 PD-1 et PD-L19
- adénocarcinome de la jonction œsogastrique : HER27 et PD-L115
- biomarqueurs pour tout type de cancer (tumeur agnostique) : déficience du système de réparation des mésappariements (dMMR), instabilité microsatellitaire (MSI-H) et fusions NTRK
* liste non exhaustive
Collecte des données et droits
La médecine de précision et les biomarqueurs nécessitent inévitablement la collecte de données de santé pour cerner le traitement qui convient à chacun, en fonction des gènes. Si la protection de vos données vous préoccupe, sachez que certains mécanismes juridiques sont en place. En 2017, la Loi sur la non-discrimination génétique est entrée en vigueur; elle interdit toute discrimination de la part d’organisations ou de particuliers fondée sur des résultats de tests génétiques. Elle interdit également les tests génétiques obligatoires et la divulgation des résultats de ceux-ci. Cette loi permet aux Canadiens d’avoir un accès équitable aux soins et aux services, comme l’assurance vie, quelles que soient leurs données génétiques.16
Les organisations de patients ont également collaboré à l’élaboration d’une Déclaration des droits en matière de données à caractère personnel sur la santé au Canada.
L’avenir
Le présent article ne fait qu’effleurer la complexité des biomarqueurs. De nombreux obstacles, comme le manque d’accès équitable aux essais sur les biomarqueurs et le manque de sensibilisation sur leur disponibilité au Canada, nous empêchent d’utiliser pleinement leurs avantages dans le domaine des soins de la santé. Cependant, assurer une compréhension commune et accroître la sensibilisation en ce qui a trait aux biomarqueurs constituent des premières étapes cruciales dans leur développement et leur adoption. La Société GI s’est engagée à accroître l’éducation sur les biomarqueurs et à promouvoir l’accès aux thérapies connexes afin que toute personne au Canada puisse recevoir le bon traitement au bon moment.