Liens vitaux entre le sommeil et les troubles GI
Le sommeil est essentiel pour l’être humain, mais ne soyons pas surpris que certains d’entre nous ne dorment pas suffisamment. Les chercheurs nous disent que le sommeil est vital pour la santé et le bien-être, quel que soit l’âge.1
Un repos suffisant nous permet de demeurer alertes et efficaces, d’avoir des temps de réaction réguliers et de bien consolider les informations absorbées. Des problèmes de santé tels que la maladie du cœur, un taux élevé des hormones de stress et l’atténuation de la fonction immunitaire sont liés à l’insomnie, c’est-à-dire à l’incapacité de dormir quand on le souhaite. Toutefois, abstraction faite des troubles graves du sommeil tels que l’insomnie, de nombreuses personnes souffrent occasionnellement d’un manque de sommeil ou d’un sommeil inadéquat.
Pendant le sommeil, des changements importants se produisent dans les fonctions motrices, sensorielles et physiologiques. Nous passons par cinq phases de sommeil distinctes de trois à cinq fois par nuit. Au cours des quatre premières phases, la fréquence cardiaque et la température baissent, les muscles se détendent et les ondes cérébrales ralentissent alors que nous sombrons de plus en plus profondément dans le sommeil. La cinquième phase du sommeil est celle des mouvements oculaires rapides (MOR), caractérisée par un sommeil peu profond au cours duquel la vitesse des ondes cérébrales atteint le niveau de l’éveil et que les yeux bougent dans un mouvement de va-et-vient sous les paupières; elle constitue aussi la période pendant laquelle la plupart de nos rêves se produisent. Bien qu’une personne qui dort puisse sembler inactive, certaines fonctions du cerveau et du corps sont plus actives pendant le sommeil qu’en période d’éveil.
Dans le présent article, nous examinons les façons dont la qualité et la durée du sommeil influent sur la santé digestive et, inversement, les façons dont les affections gastro-intestinales (GI) influencent le sommeil. Les données suggèrent qu’il existe des conséquences spécifiques liées au sommeil pour bon nombre d’affections GI, notamment le reflux gastro-œsophagien pathologique, la maladie inflammatoire de l’intestin, le syndrome de l’intestin irritable, la maladie du foie, la perturbation du microbiome et l’obésité. Le sommeil peut même influencer la façon dont les virus, tels que celui de la COVID-19, nous affectent.
Les effets d’une privation de sommeil
On parle de privation de sommeil lorsqu’une personne ne dort pas suffisamment. Les facteurs qui en sont responsables comprennent les troubles du sommeil, les problèmes de santé mentale, une mauvaise hygiène du sommeil, le stress ou un horaire chargé qui limite le temps de sommeil. Cela devient de plus en plus courant, car nous passons davantage de temps à travailler et à nous divertir sur les téléphones intelligents. Au fil du temps, un sommeil insuffisant ou un déficit de sommeil influe sur la façon dont une personne se sent, se comporte et interagit avec son milieu. Cela peut accroître les trous de mémoire, les accidents et les blessures, ainsi que les troubles du comportement et de l’humeur, tout en ayant un impact nuisible et profond sur la santé physique, la santé mentale et la sécurité publique.
Les jeunes personnes bénéficient probablement le plus d’une plus grande quantité de sommeil que les personnes plus âgées, puisqu’un sommeil insuffisant accroît la solitude émotionnelle. La promotion de la santé du sommeil pourrait être un moyen inexploité de réduire la solitude et d’accroître l’engagement social dans tous les groupes d’âge, mais surtout chez les jeunes.
Le manque chronique de sommeil est un déterminant social de l’état de santé qui est sous-estimé et à la hausse. Il est lié à plusieurs épidémies médicales, notamment les maladies cardiovasculaires, le diabète, l’obésité et le cancer.2 Des données émergentes suggèrent qu’une prolongation de la durée du sommeil nocturne des personnes dont le sommeil est habituellement insuffisant corrèle directement à des bienfaits sur la santé.3 Parmi les effets négatifs sur la société, on peut citer les accidents de la route dus à la somnolence au volant, ainsi que les accidents du travail.
RGO pathologique
Le reflux gastro-œsophagien (RGO) pathologique est caractérisé par un mauvais fonctionnement de la partie supérieure du tube digestif, entraînant un reflux du contenu de l’estomac dans l’œsophage.
Selon une étude publiée dans le Journal of Neurogastroenterology and Motility,8 le reflux nocturne peut entraîner des troubles du sommeil, ce qui peut aggraver le RGO en prolongeant le temps de contact avec l’acide et en augmentant la perception sensorielle.
Le reflux est moins fréquent pendant le sommeil, mais les mécanismes d’élimination de l’acide (y compris la déglutition, la salivation et la motilité œsophagienne primaire) sont perturbés pendant le sommeil, ce qui prolonge le temps de contact avec l’acide.
Maladie inflammatoire de l’intestin
Certaines données suggèrent que les anomalies du sommeil peuvent influencer l’évolution de certaines maladies inflammatoires chroniques, dont la maladie inflammatoire de l’intestin (MII). Dans le cadre d’une étude particulière9 où l’on a comparé des témoins sains à des patients atteints d’une MII, ces derniers ont présenté « un temps de latence du sommeil considérablement plus long, une fragmentation du sommeil plus fréquente, des taux plus élevés d’utilisation de somnifères, une diminution d’énergie pendant la journée, une augmentation de la fatigue et une mauvaise qualité globale du sommeil ». Une moins bonne qualité de sommeil, tel que rapporté par les patients, était associée à une plus grande gravité de la maladie. Un autre rapport publié par les mêmes chercheurs a révélé que l’association entre une piètre qualité de sommeil et la MII était toujours valable même lorsque la maladie était inactive.10
La privation de sommeil augmente les niveaux de certaines cytokines pro-inflammatoires qui génèrent une réponse immunitaire. Les chercheurs suggèrent que des recherches plus approfondies sur ce phénomène pourraient permettre de découvrir un lien de causalité spécifique entre les troubles du sommeil et la MII, et ainsi d’élaborer de nouvelles options thérapeutiques.
Syndrome de l’intestin irritable
Une petite étude menée aux États-Unis11 a révélé que les perturbations du sommeil sont plus courantes chez les personnes atteintes du syndrome de l’intestin irritable (SII) et qu’elles ont une corrélation avec la douleur, la détresse et la plus mauvaise qualité de vie éprouvées en lien avec le SII. Les effets de la perturbation du sommeil s’étendent au-delà de l’intestin, entraînant une aggravation de l’humeur et de la douleur somatique.
Les personnes atteintes du SII souffrent davantage de difficultés du sommeil : elles mettent plus de temps à s’endormir, elles se réveillent souvent la nuit et connaissent une somnolence diurne excessive. Certaines études suggèrent que ces personnes connaissent possiblement des habitudes de sommeil modifiées, passant une plus grande partie de la nuit en sommeil MOR, ce qui peut conduire à un sommeil moins réparateur.12 Les chercheurs ont également constaté que la gravité des symptômes du SII et les scores de qualité de vie liés à la santé étaient influencés par le sommeil de la nuit précédente. Une vaste étude menée au Royaume-Uni sur les troubles de santé comorbides et les troubles du sommeil a montré un lien important entre le RGO, le SII et les troubles du sommeil.13
Maladie du foie
Une étude publiée dans le Lancet14 montre que les troubles du sommeil sont liés au développement et à la progression de la maladie hépatique stéatosique associée à un dysfonctionnement métabolique (MASLD), anciennement connue sous le nom de stéatose hépatique non alcoolique (NAFLD), ainsi que de la maladie hépatique alcoolique (MHA).
Les patients dont le foie est cicatrisé et irrémédiablement endommagé (cirrhose) présentent également un grand nombre d’anomalies du sommeil, lesquelles ont des répercussions importantes sur leur qualité de vie et leur santé physique globale.
Les chercheurs ont établi un lien entre les perturbations du sommeil et l’altération du métabolisme de la mélatonine, les complications neuromusculaires et les anomalies de la thermorégulation. En outre, un sommeil perturbé peut contribuer à la progression de la maladie du foie.
Perturbation du microbiome
Une étude récente publiée dans l’International Journal of Molecular Sciences15 s’est penchée sur la perturbation dans l’équilibre du microbiome (dysbiose) causée par la privation de sommeil et le rôle qu’elle pourrait jouer dans la manifestation d’autres maladies et symptômes.
On a constaté que la privation de sommeil entraînait une réduction notable des bactéries bénéfiques Bacteroidetes et une augmentation des bactéries moins utiles Firmicutes, allant même jusqu’à augmenter le rapport Firmicutes : Bacteroidetes. Fait intéressant, cela signifie que le manque de sommeil peut diminuer le nombre de certaines bactéries bénéfiques, telles que les probiotiques, et accroître la quantité de certaines bactéries pathogènes.
Obésité
Un article publié dans Sleep Health16 suggère qu’une courte durée de sommeil ainsi que d’autres mauvaises habitudes de sommeil sont de plus en plus répandues dans la société moderne, tant chez les enfants que chez les adultes. Une littérature de plus en plus abondante sur ce sujet a établi qu’une courte durée de sommeil (en particulier moins de cinq ou six heures par nuit) et d’autres aspects d’un mauvais sommeil sont liés à l’obésité et semblent prédire le risque d’obésité et le taux de prise de poids. De petites études expérimentales suggèrent qu’un sommeil insuffisant peut influer sur l’apport alimentaire, en particulier en ce qui concerne l’alimentation hédoniste (qui procure du plaisir). Les données suggèrent la présence d’un lien de causalité potentiel entre un mauvais sommeil et des taux plus élevés de prise de poids, qui pourrait être expliqué par les effets du sommeil sur l’apport alimentaire ou l’activité physique. Cependant, il existe également le potentiel d’un lien de causalité inverse, puisque l’obésité entraîne de nombreuses comorbidités, dont l’apnée du sommeil qui peut perturber le sommeil.
Le lendemain d’une mauvaise nuit de sommeil, l’organisme relâche une plus grande quantité de l’hormone de la faim (ghréline) et diminue l’hormone de la satiété (leptine). Les recherches indiquent que la combinaison d’un taux élevé de ghréline et d’un taux faible de leptine peut donner lieu à une augmentation de l’apport calorique.
Les personnes souffrant d’obésité sont plus susceptibles que les autres de signaler une insomnie ou des troubles du sommeil. Des données suggèrent également que l’obésité est associée à une augmentation de la somnolence et de la fatigue pendant la journée, même chez les personnes qui dorment toute la nuit sans perturbation. Les chercheurs avancent que l’obésité peut modifier le métabolisme et/ou le cycle éveil-sommeil de façon à ce que la qualité du sommeil s’en trouve détériorée. Il est également possible que les effets physiques du surpoids influencent la qualité du sommeil.17,18
Sommeil et COVID-19
Dans le cadre d’une méta-analyse publiée en août 2024,19 des chercheurs ont constaté qu’il y avait nettement un lien entre les personnes souffrant de troubles du sommeil préexistants et une vulnérabilité accrue à la COVID-19, y compris l’augmentation du risque d’hospitalisation, de mortalité et de COVID de longue durée. Pour arriver à cette constatation, ils ont utilisé les données de 48 études d’observation publiées entre le 27 octobre 2023 et le 8 mai 2024 et portant sur la COVID-19 et les troubles du sommeil, notamment l’apnée obstructive du sommeil, l’insomnie, une durée anormale du sommeil et le travail de nuit. La population étudiée comptait 8 664 026 adultes.
Bien que le mécanisme exact à l’origine des liens entre les troubles du sommeil préexistants et les effets de la COVID-19 soit incertain, un manque de sommeil persistant pourrait préparer le terrain de diverses manières, y compris en contribuant à l’augmentation d’indicateurs d’inflammation tels que la protéine C‑réactive et les niveaux d’interleukine‑6.
Sommeil de qualité et les intestins
Une nouvelle étude a établi un lien entre le sommeil de meilleure qualité et la réduction des risques de développer plusieurs maladies gastro-intestinales, et ce, indépendamment des prédispositions génétiques. Les chercheurs ont étudié le lien entre la qualité du sommeil et les troubles digestifs dans le cadre d’une étude de cohorte prospective comprenant 410 586 personnes dont les données figuraient dans la biobanque du R.-U. Ils ont ainsi suivi l’évolution de 16 maladies digestives sur une période moyenne de 13,2 ans.20
Les chercheurs ont évalué cinq comportements individuels liés au sommeil : la durée du sommeil, l’insomnie, le ronflement, la somnolence diurne, ainsi que les moments de la journée où une personne préfère dormir ou ceux où elle est la plus alerte ou la plus énergique (chronotype). Dans l’ensemble, les participants ayant un bon score de sommeil étaient 28 % moins susceptibles de développer une quelconque maladie digestive que ceux ayant un faible score de sommeil. Parmi les 16 maladies digestives étudiées, la réduction du risque était la plus importante pour le syndrome de l’intestin irritable (50 %). Un score de sommeil sain était également associé à :
- une réduction de 25 % du risque de diverticulose colique,
- une réduction de 34 % du risque de dyspepsie,
- une réduction de 35 % du risque d’ulcère gastro-duodénal, et
- une réduction de 37 % du risque de maladie hépatique stéatosique associée à un dysfonctionnement métabolique (MASLD).
Un risque génétique élevé et de mauvais scores de sommeil étaient également liés à un risque accru du développement de maladies digestives. Cependant, un sommeil sain réduisait le risque de maladies digestives, et ce, indépendamment de la prédisposition génétique.
Conclusion
Il est difficile de comprendre le lien entre le sommeil et la santé digestive, ainsi que d’autres affections. Le manque de sommeil est-il à l’origine des affections ou les symptômes découlant des affections sont-ils à l’origine du manque de sommeil? Les effets sont bidirectionnels. Ce que nous savons avec certitude, c’est que passer une bonne nuit de repos est meilleur pour nous. Faites de votre mieux pour vous engager à obtenir la quantité de sommeil recommandée et demandez de l’aide d’un professionnel de la santé si vous n’y arrivez pas tout seul.
Il est évident que les affections gastro-intestinales sont liées à des anomalies du sommeil. Des recherches plus poussées dans ce domaine pourraient permettre aux cliniciens de mettre au point des thérapies à cet égard et donc conduire à de nouveaux traitements contre les affections digestives et le manque de sommeil.