Votre microbiote intestinal – équilibré ou non?
Le microbiote intestinal est un vaste réservoir diversifié de microorganismes composé de bactéries, de champignons et de virus habitant en équilibre chez les personnes en santé. Les scientifiques ont identifié au moins 1 000 espèces différentes de bactéries habitant dans notre tube digestif, principalement dans le côlon. Il est toutefois difficile d’étudier les effets individuels et collectifs de ces espèces sur notre état de santé général puisque la majorité d’entre elles ne peuvent pas être cultivées par des méthodes standards en laboratoire.
La recherche démontre que les microorganismes intestinaux nous sont bénéfiques puisqu’ils produisent des vitamines, préviennent la croissance de bactéries néfastes, renforcent le système immunitaire et fermentent la partie non utilisée des aliments (substrats énergétiques). On appelle normobiose l’état d’équilibre des microorganismes dans le microbiote. Lorsque cet équilibre est perturbé par la croissance excessive d’au moins un microorganisme comparativement aux autres espèces, il en résulte une dysbiose intestinale.
Étant donné que la composition du microbiote intestinal normal varie largement d’une personne à l’autre, il est difficile de définir la dysbiose et ses effets sur les maladies. L’atteinte de cet objectif pourrait permettre à la médecine moderne de trouver et de corriger la dysbiose chez les patients, et peut-être même d’empêcher l’apparition de maladies.
Certaines bactéries sont pro-inflammatoires et d’autres anti-inflammatoires, leurs effets pouvant différer d’une maladie à l’autre. Par exemple, la signature microbienne des espèces bactériennes du groupe des firmicutes présentes dans le tractus intestinal des patients souffrant de la maladie de Crohn diffère sensiblement de celle des patients atteints de colite ulcéreuse, pourtant, les deux sont des maladies inflammatoires de l’intestin étroitement liées.1 Comparativement aux patients souffrant de la maladie de Crohn qui connaissent une rémission à long terme, ceux aux prises avec une maladie de Crohn récurrente ont de plus faibles taux de toutes les espèces de firmicutes.2
Les chercheurs ont établi un lien direct entre la dysbiose et un bon nombre d’autres affections y compris le syndrome de l’intestin irritable (SII), la maladie cœliaque, l’obésité, le diabète de type I et de type II, la dépression et l’autisme.3 Les études portant sur le microbiote intestinal et son lien avec les maladies continuent de montrer que des déséquilibres du microbiote peuvent donner lieu à des troubles gastro-intestinaux. Cependant, l’un des plus grands défis qu’il reste à relever est la mise au point d’une approche uniformisée et précise pour l’identification et la caractérisation des effets différentiels de la dysbiose sur la maladie et les rechutes.
Le test de la dysbiose intestinale (Genetic Analysis Map – GA-map™)
Dans un article publié en 2015 dans Alimentary Pharmacology and Therapeutics, une équipe de chercheurs européens ont présenté un nouveau test algorithmique qui utilise des sondes ADN pour identifier et caractériser la dysbiose dans des échantillons fécaux, afin de déterminer les profils génétiques d’espèces bactériennes précises.4 Cette étude est particulièrement intéressante en raison de la nature variable de la dysbiose dans les affections gastro-intestinales – le SII est un trouble fonctionnel tandis que la maladie de Crohn et la colite ulcéreuse sont des maladies inflammatoires organiques, et pourtant il y a présence de dysbiose dans ces deux types d’affection.
Casen et coll. ont dressé le profil de la normobiose par l’échantillonnage de matière fécale provenant de 668 adultes âgés de 17 à 76 ans, dont 69 % étaient des femmes. Ce groupe comptait 297 volontaires témoins en bonne santé, 236 patients souffrant du SII, tous sous-types inclus, et 135 patients atteints de la MII, maladie de Crohn et colite ulcéreuse incluses. Ils ont ensuite conçu des sondes ADN spéciales servant à reconnaître des déséquilibres bactériens typiques associés à une dysbiose dans la SII et la MII, tels que déterminés par des études antérieures. À la suite d’essais informatiques et en laboratoire (in vitro) les chercheurs ont choisi une gamme de 54 sondes visant des espèces bactériennes appartenant à des groupes taxonomiques qui dominent dans l’intestin : Firmicutes, Protéobactéries, Bacteroidetes, Actinobactéries, Tenericutes et Verrucomicrobia.
Les chercheurs ont créé un algorithme relatif à l’indice de dysbiose (ID) pour obtenir une représentation numérique du niveau de dysbiose selon son écart par rapport à la normobiose. Ils ont établi qu’un ID de >2 pouvait être qualifié de dysbiose pertinente sur le plan clinique. Les chercheurs ont décelé une dysbiose chez 73 % des patients atteints du SII, chez 70 % des patients atteints de la MII n’ayant jamais reçu de traitement et chez 80 % des patients souffrant de la MII, mais étant en rémission clinique. En revanche, ils ont décelé une dysbiose chez seulement 16 % des sujets témoins.
L’avenir de la médecine?
Les résultats du test GA Map™ appuient un nouveau paradigme en ce qui concerne la dysbiose et les maladies. En utilisant l’écart par rapport à un profil établi de normobiose comme indicateur de maladie et de rechute, Casen et coll. ouvrent la voie à une façon révolutionnaire de personnaliser le traitement des personnes ayant obtenu un diagnostic de SII ou de MII. Les chercheurs espèrent que cette découverte mènera au développement ultérieur de plans de traitement thérapeutiques individualisés servant à rétablir l’équilibre du microbiote intestinal.
Quoique les chercheurs aient bon espoir que les cliniciens pourront utiliser le modèle de l’index de dysbiose pour révéler l’état de maladie, leur étude présente des limites. Premièrement, le fait d’utiliser principalement des sujets scandinaves pour établir un profil de normobiose limite la compréhension de la communauté scientifique de ce qui constitue des intestins en santé à un groupe démographique particulier. Deuxièmement, l’utilisation du séquençage à haut débit comme outil d’analyse des bactéries intestinales par les chercheurs signifie que ceux-ci n’ont utilisé qu’une petite section du gène bactérien ARNr 16S pour explorer le large éventail de bactéries dans les intestins. Leur modèle n’identifie pas certaines des espèces moins dominantes du microbiote, lesquelles pourraient quand même jouer un rôle vital, et n’offre qu’un aperçu limité de la vaste panoplie de microorganismes.
Toutefois, cette étude a utilisé ce qui s’est avéré le premier test clinique servant à identifier et à caractériser la dysbiose au moyen de prélèvements fécaux, ce qui est prometteur pour le traitement de troubles gastro-intestinaux et d’autres affections. Si d’autres chercheurs partout dans le monde peuvent reproduire ce processus chez des personnes d’ethnies différentes et obtenir des résultats semblables, les régimes de traitement futurs pourraient être sensiblement différents de ceux en utilisation aujourd’hui.