Iniquité en santé
Y compris déterminants sociaux de la santé
L’iniquité en santé découle d’une combinaison de nombreux facteurs, dont des systèmes inéquitables, des politiques qui causent des disparités en santé, la pauvreté et même le comportement personnel. Je tiens à souligner en partant que je ne blâme aucunement les personnes aux prises avec une mauvaise santé. Le présent article évoquera les raisons des variations dans la santé des gens au sein de notre société.
Une mauvaise santé ne constitue pas un échec personnel. Les influences physiologiques agissant sur les maladies organiques, notamment la maladie inflammatoire de l’intestin, l’obésité et la dépendance, sont réelles. De même, le fonctionnement du corps influe sur la santé et peut provoquer le syndrome de l’intestin irritable, la dyspepsie et d’autres problèmes gastro-intestinaux chroniques. La santé mentale est aussi un facteur sous-jacent pouvant jouer un rôle dans ces processus. Le stress chronique et les problèmes de santé mentale tels que l’anxiété et la dépression peuvent déclencher des symptômes de santé et donner lieu à des affections concrètes. Malheureusement, la société dans son ensemble et certains secteurs des soins de santé ne prennent souvent pas au sérieux les personnes qui souffrent de ces troubles; leurs symptômes sont considérés comme psychosomatiques, bien qu’ils soient réels et nécessitent un traitement.
On apprend dès un jeune âge les bonnes et les mauvaises pratiques en matière de santé. On nous apprend à nous laver les mains, à manger des légumes et des fruits en abondance, à équilibrer notre régime alimentaire selon les plus récentes données scientifiques et à intégrer une variété d’exercices dans notre journée. Alors, comment les personnes des régions éloignées ou nordiques n’ayant pas accès, comme bon nombre d’autres Canadiens, à des aliments nutritifs comme les fruits et les légumes peuvent-elles répondre à ces besoins alimentaires?
La capacité à obtenir une bonne alimentation, à se procurer un lieu de vie sûr, et même à accéder à un moyen de transport, influe sur les résultats en matière de santé, bien avant que l’on puisse faire des choix éclairés, et ce, même avant la naissance. Des obstacles physiques, mentaux et même génétiques peuvent nous empêcher de faire un choix sain ou même d’avoir un choix.
Les preuves constituant ce qui est véritablement bon pour nous ont énormément évolué au fil des ans et il est maintenant possible de nuancer nos soins et notre mode de vie en fonction de notre génome individuel, si l’on a accès à ces informations et si l’on a la volonté de le faire.
Les indications en matière d’alimentation pendant la grossesse et sur la façon de nourrir un nouveau-né ont évolué, mais pas avant d’avoir donné lieu parfois à des catastrophes : des fabricants de produits se sont lancés dans la création de préparations pour nourrissons en l’absence de données probantes sur les nutriments nécessaires à la croissance saine d’un nourrisson après la naissance.1,2 Pendant la grossesse, bon nombre de facteurs (autre que la génétique) peuvent jouer un rôle dans la santé du bébé à la naissance : régime alimentaire, tabagisme, exposition à des substances toxiques et bien d’autres encore. Il y a ensuite le dilemme du lait maternel par rapport aux préparations. Bien que les bons choix puissent sembler simples et faciles à faire, cela s’avère bien plus complexe. Cela ne représente qu’un petit aspect des soins de santé, mais il constitue un bon point de départ.
L’iniquité en santé fait référence aux différences qui sont déterminées être injustes ou indues et modifiables. Puisque nous ne pouvons pas modifier tous les facteurs qui contribuent à l’iniquité en santé, nous devons compter sur la compassion humaine pour soutenir ceux qui vivent avec ces obstacles. Examinons de plus près les déterminants sociaux de la santé qui peuvent compliquer la capacité de chacun à obtenir un traitement équitable en matière de santé.
Déterminants sociaux de la santé au Canada10
De nombreux facteurs ont une influence sur la santé. La génétique individuelle, les choix de vie, l’exposition aux virus et aux bactéries, et les milieux où l’on naît, grandit, vit, travaille et vieillit ont aussi une influence importante sur notre santé. Santé Canada a identifié un large éventail de déterminants sociaux particuliers qui déterminent la santé d’une personne ou d’une population. Ces déterminants englobent des facteurs de nature personnelle, sociale, économique et environnementale. Les principaux déterminants de la santé comprennent :
- le revenu et le statut social
- l’emploi et les conditions de travail
- l’éducation et la littératie
- les expériences vécues pendant l’enfance
- l’environnement physique
- le soutien social et la capacité d’adaptation
- les comportements sains
- l’accès aux services de santé
- la biologie et le patrimoine génétique
- le genre;
- la culture;
- la race et le racisme.
Iniquité de genre
De la conception jusqu’à la mort, une multitude de facteurs influent sur la santé. Même le genre peut avoir un effet sur la santé tout au long de la vie, d’une multitude de façons. Une étude prospective3 se penchant sur 9 164 résidents américains ≥65 ans a démontré que les besoins en matière de santé étaient nettement plus importants chez les femmes plus âgées que chez les hommes, mais que les femmes avaient toutefois moins de ressources à leur disposition pour répondre à leurs besoins.
Le Canada a adopté La Stratégie pour la santé des femmes en 19994 et l’on a rarement tenté de la mettre à jour. Cette stratégie a mis en lumière les préjugés du système des soins de santé envers les femmes, affirmant que le système canadien, comme la société en général, tend à cantonner les hommes et les femmes dans des stéréotypes, fondés sur des attitudes et des rôles enracinés.
Une étude publiée en 2021 dans le Journal of Pain5 explique les grandes différences dans la façon dont une personne perçoit la douleur d’autrui, et que cette perception peut être soumise à des préjugés systématiques fondés sur le genre, la race et d’autres facteurs contextuels. De tels préjugés peuvent contribuer à un manque systématique de reconnaissance et au traitement insuffisant de la douleur dans les soins de santé. Dans l’une des deux expériences menées au cours de l’étude, les observateurs ont sous-estimé la douleur des patientes comparativement à celle des patients (même après avoir pris en compte la douleur autodéclarée par les patientes et patients et les expressions faciales de la douleur). Dans la seconde expérience, les stéréotypes de genre liés à la douleur exprimés par les observateurs, en particulier les croyances sur la volonté typique des femmes par rapport aux hommes à exprimer la douleur, ont su prédire les préjugés relativement à l’estimation de la douleur. De plus, les observateurs ont jugé que les patientes étaient relativement plus susceptibles de bénéficier d’une psychothérapie, alors que les patients étaient plus susceptibles de bénéficier de médicaments contre la douleur. Cette étude cerne un préjugé de sous-estimation de la douleur chez les patientes, qui est lié aux stéréotypes de genre. Elle expose également le conseil stéréotypé donné aux hommes, selon lequel ils n’ont pas besoin de soins émotionnels. Les résultats suggèrent que les stéréotypes de douleur des soignants, voire des cliniciens, sont une cible potentielle d’intervention dans le domaine des soins de santé.
Les hommes sont traditionnellement la norme par défaut dans les domaines de la santé et de la recherche sur la santé, de sorte que les femmes, dont le corps réagit de façon différente aux maladies comparativement à celui des hommes, souffrent en raison de points de référence de santé non conçus pour répondre à leurs besoins.
Les femmes médecins continuent d’être affrontées à des défis importants au travail, tels que la disparité salariale, les agressions sexuelles et le harcèlement, l’opposition à l’avancement professionnel et les préjugés inconscients.6 De grandes organisations et institutions internationales tentent de relever ces défis par l’élaboration de lignes directrices, l’établissement de politiques et la mise en œuvre d’une programmation axée sur l’équité de genre et la diversité.7 Comment peut-on avoir confiance qu’un système de santé qui pénalise ses collègues essentielles puisse répondre de manière appropriée aux préoccupations de ses patientes?
Dans son rapport de 20188 intitulé Analyse de l’équité entre les sexes et de la diversité dans la profession médicale au Canada, l’Association médicale canadienne déclare : « Même si la formation médicale a commencé à renforcer les compétences sociales et culturelles des étudiants, les quelques données disponibles semblent indiquer que les effectifs médicaux canadiens ne reflètent pas la diversité des patients qu’ils servent. Il a été avancé que l’accroissement de la diversité des effectifs médicaux optimiserait le développement des vraies compétences sociales et culturelles. Les difficultés sont encore plus grandes pour les femmes qui présentent un ou plusieurs autres déterminants d’iniquité (p. ex., minorité raciale, faible statut socioéconomique, croyances religieuses, appartenance à la communauté LGBTQ2+, handicap). »
Une étude publiée en 2021 dans le Journal of the Canadian Association of Gastroenterology,9 révèle que les femmes gastro-entérologues affichent une faible représentation à de multiples niveaux tout le long du parcours professionnel. En fait, sur un total de 47 personnes, seulement deux femmes, soit 4,2 %, ont siégé à titre de présidentes de l’Association canadienne de gastroentérologie. Ce taux varie pour les autres associations provinciales de gastroentérologie : les associations en Ontario se trouvent à un extrême, n’ayant jamais eu une femme présidente et l’Alberta à l’autre extrême avec le plus grand nombre de présidentes (tout de même seulement 20 %).
Influence épigénétique
L’épigénétique est la discipline qui étudie la façon dont les comportements et l’environnement peuvent occasionner des changements qui exercent un effet sur le fonctionnement des gènes. La science courante montre que ce qui est arrivé à nos ancêtres avant notre conception, même ce qui remonte à bon nombre de générations antérieures, peut avoir un effet sur nous et notre santé. Les traumatismes subis par nos parents et nos grands-parents peuvent influer sur notre santé aujourd’hui sous forme de dépression, d’anxiété, de peurs, de phobies, de pensées obsessionnelles et de symptômes physiques inexpliqués, ce que les scientifiques appellent désormais le trouble de stress post-traumatique secondaire (TSPT secondaire).
Dans son livre Cela n’a pas commencé avec toi!,11 Mark Wolynn documente les dernières recherches épigénétiques se penchant sur la façon dont les souvenirs traumatiques sont transmis par des modifications chimiques de l’ADN. Il aborde également les derniers progrès réalisés en matière de neuroscience et de sciences du langage. Les traumatismes peuvent nous changer pendant bon nombre de générations. Le chagrin, la souffrance et la détresse ne s’arrêtent pas toujours à la personne qui en fait l’expérience directe. Les sentiments et les sensations, en particulier la réponse au stress — la manière dont nos gènes expriment ce stress — peuvent se transmettre à nos enfants, à nos petits-enfants et aux générations ultérieures, ayant un effet comparable sur eux, même s’ils n’ont pas personnellement vécu nos traumatismes.
Dans son livre Medical Apartheid : The Dark History of Medical Experimentation on Black Americans from Colonial Times to the Present,12 Harriet A. Washington documente l’histoire de l’abus, sous forme d’expériences médicales atroces et non consensuelles, chez les Afro-Américains, depuis l’esclavage jusqu’à aujourd’hui. Ce traumatisme est toujours présent chez les Noirs américains aujourd’hui. Les asservisseurs blancs jouissaient d’une meilleure santé dès le départ, d’une meilleure alimentation et d’une moindre exposition aux agents pathogènes et aux parasites environnementaux que les esclaves noirs. Le déni de soins pendant l’esclavage a laissé des marques traumatiques sur les Afro-Américains pendant bien des générations, tout comme les séquelles des pensionnats autochtones au Canada et d’autres traumatismes ont jusqu’à ce jour des effets préjudiciables sur certaines personnes indigènes. Ces changements épigénétiques sont également répandus chez les descendants des survivants de l’Holocauste. Quelle que soit leur race, les personnes qui ont subi des abus, quels qu’ils soient, peuvent transmettre leur traumatisme de génération en génération.
Malheureusement, nos systèmes de soins de santé ne disposent pas de structures adéquates pour nous aider à réparer les dommages en vue d’améliorer la santé de notre société et de travailler à la guérison des générations futures.
Contaminants environnementaux
L’exposition au plomb pendant l’enfance peut avoir des répercussions sur la santé. Les chercheurs d’une étude publiée en 2021 dans la revue PNAS,13 se penchant sur 1,5 million de personnes, ont constaté que les résidents américains et européens ayant grandi dans des régions affichant des niveaux de plomb atmosphérique plus élevés présentaient des profils de personnalité moins adaptatifs à l’âge adulte (conscience et amabilité moindres et névrosisme plus élevé), et ce, même en tenant compte du statut socioéconomique. Ces résultats suggèrent que même une faible exposition au plomb peut avoir un impact négatif sur les traits de personnalité, nuisant au bien-être, à la longévité et aux perspectives économiques de millions de personnes.
Nous savons déjà que la pollution atmosphérique nuit à l’environnement, rend nos villes brumeuses, sent mauvais, peut endommager nos poumons et donne lieu à de nombreux autres effets néfastes. Des données probantes montrent que la pollution pourrait également augmenter l’incidence d’appendicite. Dans le cadre d’une étude publiée dans le Journal de l’Association médicale canadienne,14 dont nous avons discutée dans le numéro 179 du bulletin Du coeur au ventreMD, des chercheurs ont recueilli des informations auprès de 5 191 adultes de Calgary ayant souffert d’une appendicite, et ont étudié la concentration de polluants atmosphériques spécifiques pendant les sept jours précédant leur hospitalisation. Les polluants atmosphériques mesurés dans es stations comprenaient l’ozone, le dioxyde d’azote, le dioxyde de soufre, le monoxyde de carbone et les particules en suspension d’un diamètre aérodynamique de <10μ et <2,5μ. Les chercheurs ont conclu qu’une exposition à court terme à des niveaux élevés de pollution atmosphérique pouvait déclencher certains cas d’appendicite.
Invalidité
La rhétorique capacitiste au regard de l’invalidité doit cesser. Bien que les personnes handicapées aimeraient travailler, la vérité c’est que, souvent, elles en sont incapables. Il n’est pas acceptable d’exercer des pressions et du stress sur les personnes handicapées juste parce que, en tant que personne apte au travail, on ne comprend pas leur handicap. Les personnes ont besoin de niveaux variables de soutien, sans que ce soit toujours une question de revenu. Les personnes handicapées sont confrontées à un large éventail d’obstacles uniques, dont le transport. Il est important de noter qu’il existe de nombreux handicaps invisibles, y compris les maladies chroniques telles que la maladie inflammatoire de l’intestin, les maladies du foie, le syndrome de l’intestin irritable, le syndrome de l’intestin court et les problèmes de santé mentale.
Dans la sixième leçon du livre de Fareed Zakaria paru en 2021, Ten Lessons for a Post-Pandemic World,15 l’auteur mentionne qu’Aristote avait raison en prononçant que nous sommes des êtres sociaux. Que cela signifie-t-il dans le contexte de l’équité en santé? Selon moi, cela signifie que nous devons prendre soin des gens autour de nous. Sans tomber dans l’extrême socialisme, nous pouvons prendre soin des autres tout en profitant des avantages uniques d’un système capitaliste. Le désavantage de notre sociabilité, explique M. Zakaria, c’est que nous vivons dans des villes surpeuplées, ce qui a entraîné, entre autres, la propagation rapide d’infections telles que celle du SRAS-CoV-2 qui sévit actuellement. Des variants du virus continuent à apparaître parce que nous n’avons pas mis fin à la propagation de la version initiale; plus le virus se réplique, plus la probabilité de mutations mortelles augmente. Nous devons essentiellement vivre avec le monde tel qu’il est, et nous devons travailler ensemble pour améliorer notre santé.
Autres influences
Il existe également une myriade d’attributs physiques qui peuvent avoir un effet sur la santé y compris les anomalies congénitales, les blessures, les maladies, les contaminants et le vieillissement. Les humains sont constitués de 20 000 à 25 000 gènes qui fonctionnent seuls et également de concert les uns avec les autres. Les nombreux systèmes du corps sont susceptibles à une panoplie de dysfonctionnements, y compris les sens de base, c’est-à-dire, la vue, l’odorat, le toucher, le goût et l’ouïe, et d’autres sens encore — certains scientifiques suggèrent que nous en avons jusqu’à 21. Nous avons également onze systèmes d’organes, notamment le système tégumentaire, le système squelettique, le système musculaire, le système lymphatique, l’appareil respiratoire, l’appareil digestif, le système nerveux, le système endocrinien, l’appareil cardiovasculaire, l’appareil urinaire et l’appareil reproducteur. Ces systèmes communiquent tous entre eux, et certaines maladies peuvent en toucher plus d’un. Nous savons, par exemple, que les maladies comme la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson et la maladie de Fabry touchent principalement un système précis, mais toutes ont également un effet sur l’appareil digestif.
Les préjugés constituent un autre obstacle à l’obtention de bons soins de santé. Bien que les médecins déclarent que l’obésité est une maladie chronique, il existe toujours une stigmatisation considérable relativement au poids dans la culture populaire et le domaine des soins de santé, ce qui a des répercussions négatives sur l’élaboration de politiques de prévention et de traitement. Les auteurs d’une étude publiée en 2021 dans la revue Obesity Reviews16 présentent des preuves fondées sur le traitement de l’obésité, la neuroscience, la philosophie de l’esprit et la stigmatisation à l’égard du poids qui remettent en question les croyances communément admises selon lesquelles les individus sont libres de choisir leur poids et que la réalisation d’une perte de poids à long terme est entièrement soumise à un choix conscient. La régulation de la faim, de la satiété, de l’harmonie énergétique et du poids corporel s’effectue dans les régions sous-corticales du cerveau qui ne sont pas associées à l’expérience consciente. Il ne s’agit pas de volonté, mais d’une maladie.
Même avec la meilleure structure de soins de santé, il faut compter sur les personnes qui nous soignent, ainsi que sur les tests et les traitements dont elles disposent. Dans son livre, The Secret Language of Doctors,17 le Dr Brian Goldman présente non seulement l’argot hospitalier, mais aussi la personnalité des médecins et des infirmières dont il a capté les idiosyncrasies. Il révèle également les fractures du système de soins de santé aux États-Unis, ce qui soulève cette question : prenons-nous vraiment bien soin de tout le monde, partout?
Les systèmes de soins de santé canadiens sont tout simplement inadéquats pour répondre à la complexité des besoins physiques humains. L’évolution scientifique nous aide à combattre les idées obsolètes sur la santé et les causes complexes des troubles et des maladies.
Rôle des gouvernements
La Loi canadienne sur la santé est la loi fédérale au Canada qui régit l’assurance maladie. Elle présente l’objectif principal de la politique canadienne des soins de santé qui consiste à « protéger, à promouvoir et à rétablir le bien-être physique et mental des résidents du Canada, et à leur donner, dans des conditions raisonnables, accès aux services de santé, sans que des obstacles financiers ou d’un autre ordre s’y opposent. »
Le 1er avril 1984, la Loi a remplacé plusieurs lois fédérales sur l’assurance hospitalisation et l’assurance médicale et a consolidé leurs principes en établissant des critères sur l’administration publique, l’exhaustivité, l’universalité, la portabilité et l’accessibilité. La Loi a pour objet de veiller à ce que tous les résidents admissibles du Canada aient, selon des conditions raisonnables, accès aux services de santé qui sont médicalement nécessaires sans avoir à débourser directement pour ceux-ci au point de service.
Dans son livre intitulé Chronic Condition,18 Jeffrey Simpson a écrit que la plupart des problèmes liés aux soins de santé publics au Canada remontent à la création de la Loi et a suggéré, en 2013, qu’il fallait la remanier en profondeur. Les créateurs du système de santé canadien n’ont pas suffisamment réfléchi aux pays dont ils s’inspiraient et, une fois le plan adapté aux diverses responsabilités fédérale, provinciales et territoriales existantes, de nombreux éléments essentiels n’ont pas été retenus dans la Loi.
Ainsi, nous avons un réseau de systèmes complexes et bien établis qui ne s’intègrent jamais complètement, ce qui signifie que bon nombre de nos besoins passent entre les mailles du filet. Le système est défaillant et expose de façon importante les déterminants sociaux de la santé. Comment pouvons-nous être en bonne santé si notre système de soins de santé nous laisse tomber lorsque nous en avons besoin?
Le système de soins de santé canadien fait défaillance relativement aux médicaments
Il est remarquable que le Canada soit le seul pays développé dont le cadre national des soins de santé publics ne comprend pas un régime universel d’assurance médicaments.
La Société GI a été active dans ce domaine et vous trouverez sur son site Web des renseignements sur les changements radicaux imminents apportés au Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés,19 qui sont importants pour la chaîne d’approvisionnement des médicaments au Canada. Un trop grand nombre d’organismes évaluent et réduisent les prix des médicaments au Canada. Je n’entrerai pas dans les détails ici, puisque nous avons fourni de nombreux exemples sur notre site Web, mais voici quelques organismes impliqués dans le domaine :
- Santé Canada étudie les données probantes issues des essais cliniques soumis par les fabricants de produits pharmaceutiques pour décider si un médicament ou un produit biologique est sûr et efficace à des fins de vente.
- Le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés est régi par la Loi sur les brevets. Il s’agit d’un organisme fédéral indépendant et quasi judiciaire ayant un double rôle : 1) Réglementation : veiller à ce que les prix auxquels les titulaires de brevet vendent leurs médicaments brevetés au Canada ne soient pas excessifs, et 2) Rapports : faire rapport des tendances des prix de vente de tous les médicaments et des dépenses de recherche pharmaceutique. C’est ici que les choses changent!
- L’Agence des médicaments du Canada (AMC) effectue l’examen de médicaments par l’entremise de deux volets : le Programme commun d’évaluation des médicaments (PCEM) et le Programme pancanadien d’évaluation des anticancéreux (PPEA). L’AMC est un organisme indépendant, sans but lucratif, chargé de fournir aux décideurs du secteur de la santé des données probantes objectives pour les aider à prendre des décisions éclairées. Le Québec dispose également de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) qui évalue les technologies de la santé.
- L’Alliance pancanadienne pharmaceutique (APP) est un organisme provincial-territorial-fédéral qui gère le processus de négociations privées avec les fabricants afin d’établir des prix acceptables et non divulgués pour les médicaments, des critères d’admissibilité et des ententes de partage des risques (remises, plafonds de dépenses, etc.).
- Une fois la négociation de l’APP terminée, chaque régime d’assurance médicaments provincial, territorial ou fédéral public décide d’inclure ou non le médicament dans sa liste de médicaments couverts. L’assurance médicaments privée est gérée différemment.
- Conscient de cette mosaïque de modes de couverture des médicaments, le gouvernement canadien a créé l’Agence canadienne des médicaments et, le 1er avril 2021, a annoncé la nomination de la personne qui dirigera le Bureau de transition. Cette personne supervisera l’élaboration d’une liste nationale de médicaments assurés, c’est-à-dire une liste exhaustive et fondée sur des données probantes de médicaments prescrits, afin que l’accès des patients aux traitements soit le même partout au pays.
Étant donné que les produits pharmaceutiques sont strictement contrôlés et gérés au Canada, il est possible que certaines personnes ayant besoin de certains médicaments ne puissent pas les obtenir. Comparativement aux États-Unis et à l’Union européenne, les Canadiens se heurtent à de longs délais d’accès aux médicaments. Dans un blogue de l’Institut Fraser du 13 mai 2021 (en anglais seulement),20 les auteurs rapportent que des 218 médicaments approuvés à la fois au Canada et aux États-Unis entre 2012‑2013 et 2018‑2019 le délai d’approbation médian était de 289 jours (moyenne de 469 jours) plus rapide aux États-Unis. Des 205 médicaments approuvés à la fois au Canada et en Europe, le délai d’approbation médian était de 154 jours (moyenne de 468 jours) plus rapide en Europe.
Notre gamme de systèmes redondants ne fait qu’empirer les choses pour les Canadiens. Nous avons vraiment besoin de ce remaniement!
Soins virtuels
L’évolution des soins virtuels s’est intensifiée pendant la pandémie de COVID-19 et cette modalité ne disparaîtra pas de sitôt. Les soins virtuels comportent des aspects positifs et négatifs. L’absence de soins en personne peut toujours nuire aux soins de santé, bien qu’il s’agisse d’une amélioration qui aurait dû être apportée depuis longtemps dans certaines circonstances. Quoique nous avons encore beaucoup à faire avant de pouvoir bénéficier des soins du Docteur, l’hologramme médical d’urgence, de la série télévisée Star Trek : Voyager, l’intelligence artificielle fait également son apparition dans le domaine des soins de santé. Pour que les humains puissent prendre soin des humains, nous avons besoin de tous nos sens et, avec des soins uniquement virtuels, certaines maladies peuvent passer inaperçues.
Dans un rapport publié en 2021 par l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé, les auteurs soulignent que nous avons besoin d’une nouvelle réglementation concernant la prestation de visites virtuelles (p. ex., par téléphone, textage ou vidéoconférence) pour maintenir un accès équitable aux soins de santé publics, comme le prévoit la Loi canadienne sur la santé.21 Les auteurs conviennent que les visites virtuelles sont une façon de fournir des soins de santé aux patients à l’endroit de leur choix grâce à la technologie, et que l’utilisation des visites virtuelles a le potentiel de surmonter bon nombre des obstacles associés aux soins en personne offrant, entre autres, un meilleur accès, une commodité et des économies. Parmi les autres obstacles que les soins virtuels ne permettent pas de surmonter, l’on compte l’accès fiable à un appareil connecté à Internet, les connaissances technologiques et les obstacles linguistiques.
La taille importe
La taille du budget réservé à chaque région en matière de soins de santé publics canadiens est importante. Le fait que notre régime public ne couvre pas les produits pharmaceutiques, sauf dans des situations spécifiques, est important. Dans son livre Big Promises, Small Government, l’ancien ministre de la Santé de la Colombie-Britannique, George Abbott, a écrit au sujet des effets négatifs des compressions budgétaires sur les personnes vivant dans la pauvreté et les enfants de personnes handicapées, qui ont soudainement perdu le droit de recevoir des soins dentaires préventifs, entre autres choses.22
La liberté économique est liée à la qualité de la santé, et même la taille de la région où nous habitons est importante : si elle est trop grande ou trop petite, nous pouvons être désavantagés. L’une des conclusions les plus intéressantes et les plus solides provenant d’une publication de l’Institut Fraser en 2021 est qu’il semble y avoir une taille de population « optimale » pour les collectivités infranationales qui maximise la liberté économique globale, soit environ 9,5 millions de personnes. Au-delà de ce point, la qualité institutionnelle globale commence à diminuer, ce déclin commençant à des niveaux de population encore plus bas en ce qui a trait à la fiscalité, une sous-catégorie de la liberté économique.23 La liberté économique influe sur la santé.
Action
L’Agence de la santé publique du Canada a créé le Conseil canadien des déterminants sociaux de la santé dans le but de regrouper des leaders de différents secteurs pour travailler sur les déterminants sociaux de la santé et améliorer l’équité en santé. Le Conseil a élaboré des ressources et des outils que vous pouvez trouver en ligne.24 Bien que cela soit un bon début, nous avons encore un long chemin à parcourir.
Conclusion
Les soins de santé sont issus d’anciens enseignements médicaux et philosophiques, depuis les pratiques bien connues d’Hippocrate de Kos au cinquième siècle AEC en Grèce classique, jusqu’aux divers concepts de santé partout dans le monde au fil du temps. Nos ancêtres ont compris que le maintien d’une bonne santé et la lutte contre les maladies sont liés à des causes naturelles, et que la santé et la maladie ne peuvent pas être dissociées d’un environnement physique ou social particulier ni du comportement humain. Nous pouvons et devons faire mieux aujourd’hui.
Lors d’une réunion de l’Association médicale canadienne à laquelle j’ai assisté à Yellowknife en 2012, le Dr John Haggie a déclaré : « Notre système de soins de santé universel est une caractéristique de l’identité canadienne. Nous devons nous efforcer de faire en sorte que, peu importe où ils vivent, les Canadiens puissent avoir accès à des niveaux et à des normes de soins de santé comparables. » C’est en terminant un mandat mouvementé à titre de président de l’Association, qu’il a ajouté : « Les Canadiens voient une occasion pour tous les paliers de gouvernement de faire preuve de leadership et de collaboration pour transformer les soins de santé afin qu’ils soient axés sur les besoins des patients. Notre système de soins de santé est né de la collaboration; il est temps de la ramener à tous les paliers. »
Les réflexions du Dr Haggie me touchent. Nous devons travailler ensemble pour améliorer les soins de santé et aborder les déterminants sociaux de la santé au sein de nos systèmes fracturés.
Les soins de santé au Canada se situent à peu près au milieu dans l’ensemble des systèmes des pays développés. Il est loin d’être parfait. Il comporte des perles, mais aussi des boulets. J’ai personnellement été témoin d’une contribution étonnante de la part de la communauté de patients, qui a permis d’apporter des changements importants dans la façon dont nous prenons soin des gens. Si nous voulons faire de la santé une priorité, nous devons nous attaquer aux déterminants sociaux de la santé, qui englobent les domaines mentionnés plus haut. Tout cela fonctionne ensemble. Nous avons des responsabilités personnelles et sociétales pour assurer un bon résultat.
Nous devons également être tolérants les uns envers les autres. Nous ne savons pas ce que vit une autre personne. Certains jours, simplement sortir du lit représente un défi pour certaines personnes. Soyons aimables et continuons à améliorer les soins de santé. Nous pouvons y parvenir si nous sommes tous un peu plus attentionnés.
Si vous vous sentez bien, que vous avez l’air bien, et que vous avez un emploi rémunéré, vous pourriez connaître des avantages importants dans le contexte des déterminants sociaux de la santé. Profitez-en!